Elle n'est pas d'humeur à déambuler dans le manoir à cette heure-ci et sa seule option est le sommeil. Dormir n'est d'aucune nécessité mais cela a, au moins, le mérite de faire passer le temps. Pareil à un nouveau réflexe qui témoigne de sa lassitude morale, son soupir fend l'air et ses paupières s'abaissent, à la recherche de ce qui se rapproche de la torpeur.
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Le jour est à peine levé qu'une pluie violente s'abat sur la toiture du manoir. De sombres nuages empêchent le soleil d'ouvrir ses yeux et malgré tout, l'atmosphère qui règne est des plus agréables. Accompagnant la douce berceuse créée par l'averse, les talons de Lenora résonne dans les couloirs vides. Les mains glissant sur les murs de pierre, la jeune femme est pensive. Elle n'a fermé l'œil que quelques heures dans la nuit et ne supportant plus d'être enfermée dans sa chambre, elle s'est douchée et a quitté cette pièce qui s'apparente de plus en plus à une prison.
Etonnamment, du bruit se fait entendre dans l'un des salons que la vampire a visité la veille. Elle qui pensait que toutes ces pièces ne servaient que de décorations et que tous les pensionnaires passaient leur temps dans l'aile Ouest. Sa curiosité piquée à vif, elle abaisse la poignée, un geste qu'elle regrette sur le champ. Des paires d'yeux, plus perçants les uns que les autres, se tournent sur sa personne et la dévisagent avec mépris. Pourquoi a-t-elle ouvert cette porte déjà ? Elle ne s'en rappelle même plus. Se raclant la gorge, mal-à-l'aise, elle présente brièvement ses excuses avant de refermer cette lourde porte.
Le premier soupir de la journée fend ses lèvres et elle reprend sa petite escapade. Aurel lui a certainement demandé de rester dans sa chambre pour éviter ce genre d'embarras. Si Lenora en croit le dédain lu dans le regard de ces individus, tous ne veulent pas que du bien à leurs semblables. Après tout, ces lieux accueillent principalement des aristocrates qui comptabilisent des siècles d'existence alors, une petite apprentie qui n'a que quelques mois, doit leur inspirer tout excepté du respect, de la considération et tout ce qui comporte une connotation positive.
Secouant la tête pour ôter toutes les pensées négatives qui s'empilent à une folle allure, la jeune femme fait face à une porte ouverte. Chose surprenante dans la mesure où toutes les portes de cet endroit sont toujours closes. La Saragossane reste debout devant cette entrée durant de longues secondes, hésitante. Va-t-elle récolter encore une fois une avalanche d'ondes négatives ? Sa précédente expérience lui a bien fait comprendre que la curiosité n'a pas sa place ou du moins, qu'elle doit être lâchée avec parcimonie.
— Eh bien, jeune BORGIA, qu'attendez-vous pour rentrer ? l'apostrophe une voix grave.
— Je peux ? se risque-t-elle.
— Bien sûr, affirme son interlocuteur ; je n'attendais plus que vous.
Il l'attendait, elle ? Mais pour quelle raison ? Se dirige-t-elle vers un ennemi d'Aurel qui désire s'en venger ? Ou alors est-ce un simple piège qui vise à l'éliminer par l'affreux plaisir de tuer les Infants ? Toutes ces questions parasitent son esprit tandis que ses pieds franchissent le pas de la porte et la dirigent dans une salle à manger où est installé un homme.
La table autour de laquelle il est assis est parsemée de couverts en tout genre et de toute taille. Et plus surprenant encore, l'aura qui se dégage de lui n'a rien de pesante et de dominatrice. Non, elle est douce et apaisante, n'attendant aucune soumission du plus faible et Lenora doit bien reconnaître que cette sensation est un vrai soulagement. Se battre constamment pour garder la tête haute dans cette atmosphère écrasante est si pénible.
— Je me présente : Emilien MARCHAL, commence-t-il en se levant de sa chaise pour lui faire une brève courbette.
La Saragossane en profite pour le détailler et elle doit reconnaître que c'est bien la première fois qu'un vampire embonpoint croise son chemin. A force, elle commençait à croire que les vampires n'avaient que trois options : avoir la peau sur les os, être de constitution "normale" ou être musclé. Ce Monsieur MARCHAL est vêtu d'un élégant costume noir et d'un nœud papillon rouge.
— Je suis chargé de t'apprendre l'art et les bonnes manières, poursuit-il.
— L'art et... les bonnes manières ? Pourquoi dont ? s'enquiert la jeune femme.
— Je suppose qu'Aurel m'a laissé les soins de vous expliquer, soupire Emilien en s'attablant de nouveau. Prenez place, je vous prie.
La concernée s'exécute et scrute ce vampire qui arrange son nœud déjà impeccable. Il s'éclaircie la voix et explique :
— Les Présentations sont bien plus qu'une simple rencontre entre les Infants et le roi des vampires. C'est une cérémonie qui exposent la valeur de chaque famille. Les connaissances, l'art de la table et du savoir-faire, la danse ainsi que l'habilité au combat. Le tout issu de la culture française.
— C'est une sorte de test d'aptitudes ? résume la jeune femme, sceptique.
— Oui, nous pouvons effectivement voir les choses ainsi, acquiesce l'homme penseur. Je te demanderai, maintenant, d'agencer les couverts.
— Est-ce un piège ? l'interroge Lenora en observant la multitude de fourchettes, de couteaux, de cuillères, d'assiettes et de verres sur la table.
— Il n'y en a aucun, la rassure Emilien. Ne te laisse pas impressionnée par toute cette vaisselle.
Quelque peu rassurée, Lenora se saisit d'une assiette qu'elle pose devant puis d'une fourchette et d'un couteau qu'elle pose de part et d'autre et pour finir, elle attrape un verre qu'elle dépose en haut à droite avant de mettre ses coudes sur la table, ses paumes contre ses joues.
— Avez-vous terminé ? En êtes-vous satisfaite ? poursuit-il suivant un hochement de tête de la jeune femme.
Dans son ancienne vie, elle était barmaid pas serveuse dans un restaurant cinq étoiles où le service de table devait être irréprochable et à la hauteur des snobes qui y venaient manger. Une fourchette, un couteau dont l'utilisation était optionnelle et un verre lui suffisait amplement pour se nourrir. Ni satisfaite, ni insatisfaite, à la lisière du désintérêt, elle se contente de hausser les épaules.
— Je vois, déclare le MARCHAL. Je vous apprends que cet agencement est incorrect, la fourchette à gauche et le couteau à droite quant au verre à eau, il se place plus haut.
La jeune femme corrige ses erreurs et reprend sa position d'origine sous le regard paisible du vampire. Il la jauge longuement. Cette bienveillance paraît moqueuse, semblable à celle dont on couvre un enfant qui commet naïvement une erreur. Il imite finalement son geste à la différence qu'il joint ses deux mains et un sourire étire la commissure de ses lèvres. Pourquoi cet homme lui fait-il penser à son père ?
— Ce service de table est incomplet, informe Emilien. Mais avant toute chose, pas de coudes sur la table...
— Mais !
— Si vous ne savez quoi faire de vos mains, l'interrompt-il ; deux possibilités sont envisageables : les déposer sur vos genoux ou bien sur la table mais jamais les coudes, à moins de joindre les deux mains, comme je le fais actuellement.
Sa bouche, restée entrouverte avec la ferme intention de répliquer à la moindre contradiction, se referme. Face à ses travers si paisiblement énoncés, une moue agacée prend place sur son visage alors que ses paumes se posent sur ses genoux, n'ayant d'autres choix que de s'appliquer. Cette journée sera plus épuisante que ce qu'elle pensait en quittant sa chambre.
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𝐴𝑟𝑡𝑒́𝑚𝑖𝑠 : 𝐿𝑒 𝐶𝒉𝑎𝑛𝑡 𝑑𝑒𝑠 𝐹𝑒́𝑙𝑖𝑛𝑠 [𝑇𝑂𝑀𝐸 2]
VampireExtrait : 《 Comment expliquer que les événements qui se produisent à Salamanque n'ont aucun sens ? Après plusieurs jours de crimes, cela va faire près de deux semaines qu'il n'y a plus eu aucun corps de trouver, aucune trace d'actes cri...