Prologue

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Cher Journal.
Je sais que c'est carrément cliché d'écrire dans un journal, mais c'est une idée de ma psy. Pour me vider la tête, comme elle dit. Comme si c'était possible ! Il y a des choses dont on ne peut se débarrasser. Pour moi, c'est bien ma tête. Ou plutôt ce qu'il y a dedans. Les souvenirs qui s'amassent, qui affluent, qui ressurgissent à tout moment, toute ma vie qui repasse sans cesse devant mes yeux comme un film dont on n'aurait pas trouvé le bouton off. Pourtant, je ne demande rien d'autre qu'un peu de répit, car ce fardeau est en train de me rendre folle.

Oh oui, contrairement à ce qu'on peut penser, c'est bel et bien un fardeau. Une malédiction. Une prison. J'ai l'impression de vivre sans arrêt dans le passé, de ne pas pouvoir avancer. Tout le monde me croit folle, et j'ai bien l'impression que c'est vrai. Toi, tu n'es qu'un journal. Un ensemble de feuilles de papier sans cerveau. Si tu en avais un, et qu'il ressemblait au mien, je te jure que tu aurais envie de te l'arracher. Mais je n'ai pas encore passé cette étape. Pour le moment, ma vie se stabilise un minimum, et à défaut d'avoir du repos, c'est tout ce que je demande.

Ma psy dit que je ne suis pas folle, que ce que je ressens est normal. Qu'est-ce qu'elle en sait elle, d'abord ? Est-ce qu'elle revoie sa vie passer en boucle ? Est-ce qu'elle est capable de me répondre si je lui demande ce qu'elle faisait le 19 mars 2003 à 15 heures ? Est-ce qu'elle est capable de se rappeler de la marque des chaussures de cet homme croisé dans la rue il y a 9 ans ? Bien sûr que non. Mais moi, oui.
Cette maladie me ronge à petit feu, et entraîne mon entourage avec moi dans ma descente aux enfers. Ne parlons pas de ma mère, qui elle était la première à y arriver. Parlons de mon père, qui sombre peu à peu dans l'alcool pour oublier ce que moi, je ne peux pas oublier. Mon père, qui dépense tout son argent à essayer de me trouver des soins, quand il ne le perd pas dans les jeux ou l'alcool ? Mon père, qui est l'homme le plus gentil du monde et qui me hurle des choses horribles, qui me frappe quand il boit un peu trop ?

Autre exemple, John. Mon meilleur ami depuis la maternelle. Lui, qui ne m'a jamais abandonnée, qui m'a toujours soutenue alors qu'il souffrait autant que moi. Lui qui commence à fumer, à se droguer, à se pourrir la vie alors qu'il est en parfaite santé, espérant y trouver une autre réalité. Mais lui, qui ne cesse jamais de rire, de sourire et de faire comme si tout allait bien dans le meilleur des mondes.

Je ne saisis pas bien pourquoi les deux hommes de ma vie m'accompagnent pendant ma chute. Il est encore temps pour eux de sauter du wagon avant l'arrivée, fatale. Pourtant, ils sont toujours là. Et moi aussi. Et cette putain de maladie, qui ne me lâchera pas tant que je serai en vie.

Bon, je vais arrêter de me morfondre pour aujourd'hui. Ce temps là est révolu. Je dois essayer d'aller de l'avant. Non. Je dois aller de l'avant. Dans la vie,il n'y a pas d'essais possibles ( merci pour ton enseignement, Yoda ). Je continuerai de tenir un maximum ce journal pour te raconter ma misérable petite vie d'étudiante en manque d'argent, de vie sociable, de vie tout court.

Morgane- la seule et unique.

Mémoire en CavaleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant