Bonus 2, Voyage en train

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- Un billet pour le train en direction de Toulon, s'il-vous-plaît.

La jeune femme derrière le guichet m'adressa un sourire aimable, et s'activa. Mon pied battais par terre sur une mesure rapide, et je ne cessai de jeter des regards en arrière. J'étais partagé d'un milliers de sentiments différents. La peur, déjà. Si mon identité n'étais pas connue, j'étais néanmoins rien d'autre qu'un criminel en fuite. Ensuite, la culpabilité de m'en aller loin de mon petit frère. Qui sait ce qu'il pourrait lui arriver ? Puis une joie irrépréhensible. J'allais partir loin de tous mes soucis, de ma vie cachée pour aller découvrir le monde.

Je posais quelques pièces sur le comptoir, et la jeune femme, les yeux pétillants, y glissa un billet de train. Elle se trémoussa légèrement sur sa chaise en rougissant, et il me fallut encore quelque secondes avant de remarquer que c'était moi qui la mettait dans un tel état. Elle me regardais avec des yeux mielleux, comme si elle attendais quelque chose. Je lui souris en récupérant le ticket.

- Désolé, lançais-je en me retournant pour partir. Je suis gay, chérie.

Je lui adressai un signe de la main, et partis en direction des quais, un sourire débile sur les lèvres. Cela faisait du bien d'avoir du contact humain, en dehors des deux tourteaux enfermés dans le bunker ! Ça ne me gênais pas d'annoncer publiquement ma sexualité. En fait, j'étais dans un tel état que j'étais presque prêt à attraper le premier type qui me croisais et lui rouler une pelle monumentale. Je tombais face à un vieillard avec trois dents en moins, avachi dans un fauteuil roulant, et je pouffai de rire tout seul.

Presque.

Le train vers Toulon partait dans une dizaine de minutes. J'allais rejoindre le quai, puis attendis. Pourquoi Toulon ? Pas la moindre idée. C'était vers le sud, vers la mer, là où il me serais facile d'embarquer dans un bateau pour l'autre bout du monde. À cette idée, je jetais un nouveau coup d'œil derrière moi. Mais qu'est-ce que j'attendais ? Que la sale tête de mon petit frère se pointe, bouche en cœur pour me dire de ne pas partir ?

Mais je voulais partir. Je voulais vivre une vie qui, pour une fois, serait ma vie. Celle que j'ai choisie, et qui m'appartiens entièrement. Il était évident que je n'avais plus ma place, coincé dans un lit entre la rouquine et Thomas. Je voulais me taper des beaux surfeurs, moi !

Le train arriva en gare. Je jetais un dernier regard derrière moi. Pas de Tyron, pas de Morgane. Personne qui ne me retiendrais. J'enfonçais ma casquette nouvellement achetée sur mon crâne, et grimpai dans le wagon sans plus jeter de regard en arrière. J'en avais assez de réfléchir. À moi la belle vie ! Je m'installai dans un wagon, à la fois avide et excité. Je n'avais jamais quitté la région, et encore moins le pays, depuis que j'étais arrivé, enfant, d'Irlande.

Je me posais sur un siège près de la fenêtre, mon sac à mes pieds. J'étais excité comme jamais par l'aventure qui m'attendait. Quelques minutes plus tard, le train démarra, m'emmenant loin de ma seule famille et de tous mes ennuis. M'emmenant vers une nouvelle vie, et j'espérais ne pas regretter mon choix. Je restais une dizaine de minutes assis, simplement à regarder le paysage défiler par la fenêtre. Puis je me levais, bien décidé à aller acheter quelque chose à manger.

J'avançai en direction du wagon restaurant. Je croisais de nombreuses personnes, en bousculais la plupart avec mon équilibre instable, et m'excusais en riant. Alors que j'avançais, un type se leva au même moment de son siège, sans m'avoir vu et s'engagea dans l'allée. Je lui rentrais brusquement dedans et il retomba sur son siège, tandis que je me stabilisais en m'appuyant sur son dossier.

- Je suis désolé ! m'exclamais-je encore une fois. Je...

Je relevai la tête, et en oubliai la fin de ma phrase. En fait, à cet instant, j'oubliais absolument tout. Tout, sauf cette soirée il y a quelques années. Et ce garçon. Il avait grandis, entre temps. Mais je le reconnaissais. Il était la première fois (et aussi la dernière, en y pensant) où je m'étais adonné aux plaisirs charnels. Ça n'avait pas duré longtemps. On ne s'était jamais revus. Mais pourtant, ça avait été bien plus qu'un « simple coup ». Je restai hébété, au milieu de l'allée. Lui, de son côté, n'en menait pas plus large.

Mémoire en CavaleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant