Les hautes tours défilaient les unes après les autres, entrecoupées par les grands écrans qui projetaient les images d'hommes et de femmes souriants sur les arches de l'autoroute. Yuya redécouvrait ce monde étrange, blanc, noir et lumineux, auquel il n'avait jamais appartenu.
Il n'avait passé que quelques semaines dans une autre ville du Dongnan avant d'être envoyé « à la campagne », dans son école de magie. Il se souvenait encore du choc qu'il avait vécu après avoir débarqué dans le port de l'ancienne ville de Chengdu, renommée Xianmu après la Fracture.
Lui qui n'avait jamais connu qu'un archipel montagneuse et le port de Yokohama, il avait mis quelques jours à réaliser qu'il était encore sur Terre. Il avait été horrifié par la violence des gens, leur indifférence envers les autres. Tout lui avait semblé cher et dénaturé, fade, trop grand et sans goût.
Aujourd'hui il revenait en ville, abandonné par ses rêves et ses ambitions, et tout ce monde lui paraissait étrangement délavé. Il n'était plus subjugué par la densité de population qu'il ne pouvait qu'imaginer en regardant ces tours immenses, il n'avait plus envie d'entrer dans chaque rue pour goûter tout ce que les vendeurs à l'étale proposaient.
Il n'était plus un étudiant en sorcellerie, ses deux années ne lui avaient pas appris grand-chose, et il ne pouvait plus rien faire. C'était la seule réalité qui arrivait encore à l'émouvoir. La dernière once de sentiments positifs qu'il possédait venait de la présence de la grande sorcière devant lui, mais il n'arrivait plus à s'en satisfaire. Elle allait repartir, et le laisser seul dans cette ville immense.
—Ca va aller, Yuya ? demanda-t-elle soudainement.
Elle pouvait réellement écouter ses pensées, se dit-il, ou alors elle en suivait à peu près le fil.
—Ca ira... répondit-il en tentant de maîtriser sa voix. Vous pouvez me déposer devant un hotel et je trouverai un moyen de me débrouiller.
Qu'allait-il faire après ? Il n'avait pas d'argent, il ne connaissait personne. Mieux valait ne pas y penser. Son avenir s'arrêtait aux prochaines minutes. A quoi bon voir plus loin ? Il s'interdisit de pleurer à nouveau devant la sorcière.
Mastani sortit de l'autoroute et gara sa moto sur le trottoir d'une rue presque déserte où les panneaux affichaient des restaurants de rue proposant des plats tels que des 擔仔麵, des nouilles au bouillon, 烏龍麵 des bols de nouilles épaisses, udon ou encore des葱花餅 , des galettes à l'oignon frais. Elle descendit de la moto et en garda le contrôle pour empêcher Yuya de tomber en descendant à son tour. Il regarda tout autour de lui sans voir un seul hôtel.
—Mais il n'y a pas de-
—Ouais. Et moi j'ai faim. Viens, je connais un bon vendeur de 章魚燒 (takoyaki).
Il la fixa sans comprendre et elle sourit en sentant sa perplexité. Les 章魚燒 étaient un plat ancien venu du district d'Outremer, un de ceux qui rappelaient le plus son village à Yuya. Est-ce qu'elle le savait ? Est-ce qu'elle avait un but derrière cette invitation ?
—Je... je n'ai pas d'argent, répondit-il en baissant la tête honteusement, je vais vous attendre près de la moto.
—Te fiche pas de moi, aller je t'invite.
—Je ne peux pas accepter, vous m'avez sauvé la vie, je vous suis redevable.
—C'est juste des boulettes de pâte au poulpe, s'écria-t-elle brusquement, tu crois que j'ai pas de quoi t'inviter ? Tu deviens insultant, là !
Il releva la tête et vit un sourire malicieux s'esquisser sur le visage de la sorcière. Elle devait avoir vécu longtemps dans le Dongnan pour savoir comment retourner la politesse traditionnelle des Dongnaniens contre eux.
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MASTANI
FantasyLa Terre a bien changé. Elle est ravagée par des guerres entre des armées de Seigneurs de Guerre qui cherchent à prendre possession des dernières villes civilisées. En effet, depuis la Fracture, la magie afflue partout sur terre, elle donne à la Nat...