MASTANI

33 日蓮寺 Le Temple Nichiren

Mastani se tenait droite devant l'entrée du monastère, le sourire au lèvres, des cernes sous les yeux, puant le soufre comme un diable sortit des Enfers et la paille dans laquelle elle avait passé les dernières heures de la nuit.  Peu avant l'aube, alors qu'elle revenait de son escapade nocturne, la fermière lui avait montré où se trouvait sa réserve de saké, et elle avait pu "brouiller tous les canaux de communication" dans les règles de l'art. 

Avec le vent froid qui balayait la montagne, son sourire s'était presque figé sur ses lèvres avec le gel. Il fallait afficher un visage serein et souriant devant ces moines, alors c'est ce qu'elle s'employait à faire, même si l'idée de se retrouver dans un monastère lui donnait plutôt des envies de carnage...

Elle s'était préalablement couvert les bras et le cou d'un haut moulant en dessous de son jinbei pour cacher ses tatouages. Que ces moines sachent qu'elle est sorcière était une chose, mais qu'ils voient son style de magie en était une autre...

La fermière et elle étaient revenues aux abords du train arrêté en plein milieu de la voie et avaient continué jusqu'au pied de la montagne où se trouvait l'entrée principale. 

Le monastère n'ouvrait ses portes aux visiteurs que deux heures après le lever du soleil, mais la fermière était une habituée qui aidait aux tâches ménagères, aussi on leur ouvrit la porte à l'aube. 

Mastani suivit la locale à travers des cours consécutives et une série de génuflexions à chaque statue avant de finalement arriver dans la salle principale du monastère, où une centaine de moines se tenaient assis pour leur prière du matin.

La sorcière reconnut immédiatement les chants qu'elle avait entendu dans le train. Les coups de gong montaient directement dans les hauteurs de la pagode avant d'être répandus dans le ciel de la montagne, portés par le vent. C'était donc à travers l'architecture des pagodes que les moines amplifiaient leurs sorts et leurs incantations, comme des amplificateurs...

Curieuse, elle regarda les fresques aux murs et n'y trouva rien d'intéressant. C'était principalement des reproductions de peintures et de statues d'autres temples bouddhistes du Dongnan continental. 

Les seuls objets dignes d'intérêt étaient ceux fait en cèdre et en os de baleine. Ils représentaient des animaux marins et des pêcheurs aux visages simples. L'artisanat traditionnel d'Outremer brillait à travers eux, et ils étaient finalement plus beau d'authenticité et de pureté que toutes les statues couvertes d'or copiées du continent.  

Mastani fut installée dans une salle plus loin dans le monastère, à l'intérieur du temple principal. C'était visiblement un lieu de rencontre car la salle était organisée autour d'une table basse et de coussins pour recevoir les invités. 

Des tapisseries d'Outremer étaient pendues au mur. Elles représentaient une chasse au kraken dans les eaux de l'Archipel, au milieu des îlots où se dressaient des temples. Comme quoi, la peur de l'océan et de ses monstres étaient partout en Outremer, et surtout dans le cœur de ceux censés y faire face. 

La grande baie vitrée qui illuminait la pièce donnait sur une cour intérieure bordée d'un chemin couvert avec, en son centre, un jardin enneigé. 

La sorcière s'assit et un vieux moine en tenue noire et blanche vint la rejoindre en lui proposant du thé. 

— Merci de me recevoir, dit-elle en s'inclinant poliment. 

— C'est un plaisir pour nous de recevoir la visite d'une sorcière du Dongnan, répondit-il en s'asseyant. Je ne vous demanderai pas de me montrer votre licence, Dame Mastani, car nous savons vous et moi qu'elle n'est plus très en règle.