20 : Réminiscences

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  Isadora a onze ans. Cela fait deux années qu'elle a fuit, et que son père est mort, laissant derrière lui une maison vide et une fille meurtrie. Deux années que ce garçon est entré dans sa vie pour y faire une si brève apparition. Deux années qu'elle ne s'endort jamais sans repenser à ce qu'il lui a dit, à répéter ses mots à mi-voix.

  Va-t'en.

  La ville souterraine est toujours aussi obscure, les parois de la grottes sont toujours aussi froides et suintantes, les rues toujours aussi dangereuses. Ces deux années de solitude l'ont endurcie. Dorénavant Isa sait voler, cambrioler, manier le couteau et ne sourit plus.

  Pour éviter les assassins et les voleurs qui rôdent dans le labyrinthe sordide des bas-fonds, Isa a pris l'habitude de parcourir les toits. Et c'est accroupie sur les tuiles d'un vaste entrepôt que l'enfant se trouve juchée en ce moment, silencieuse et immobile. Ses yeux dorés fixent les gardes qui surveillent l'entrée de l'escalier nº11.

  Cela fait un an maintenant qu'elle vient quotidiennement espionner l'escalier. Elle connaît l'emploi du temps de chacun des gardes qui s'y trouvent affectés, elle connaît leurs noms, leurs habitudes et le moindre de leurs tics. Elle sait que ceux qui prennent le prochain quart apportent toujours avec eux un jeu de carte et de l'alcool. Elle sait qu'aux alentours de 1h20 du matin, le grand blond s'écarte pour aller se vider la vessie, laissant derrière lui veste, armes et bourse de pari. Elle sait aussi que ses trois compagnons en profitent pour tricher, regarder son jeu et trafiquer la pioche.

  Elle sait tout cela. Elle a accumulé ces informations, les a enregistrées et retenues en prévision de cette nuit cruciale. Cette nuit qui la verra s'échapper de la ville souterraine.

  Les quatre gardes font leur apparition mais Isa ne bronche pas. Elle observe. L'acier de son couteau est froid contre sa jambe. Elle a caché ce dernier dans sa botte et s'est entraînée des jours durant pour être capable de le dégainer en une fraction de seconde. Elle observe les soldats qui s'avancent, saluent les gardes précédents avant de s'asseoir à leur place. Elle les scrutent discuter et rire un moment à la lueur vacillante du feu, avant de sortir leurs bouteilles et leur jeu de carte. À force d'observer, Isa en connaît les règles par cœur. Elle aurait pû jouer avec eux. Mais l'enfant ne descend pas du toit. Elle demeure parfaitement figée, se fondant dans les ténèbres chargées de misère et d'agonie qui envahissent les bas-fonds.

  Après plus d'une heure, le soldat blond pose son jeu et se lève. Il se débarrasse de sa veste, de ses armes et de sa bourse remplie de pièces. Cette dernière, il la glisse dans la poche droite de son manteau laissé sur le dossier de la chaise. Il s'écarte sous les saluts bruyants de ses compagnons légèrement éméchés.

  Le moment est venu. L'enfant connaît son plan sur le bout des doigts. Dans quelques minutes, elle gravira les escaliers nº11, droit vers la surface, la liberté et le soleil. Pour la première fois, elle sentira la caresse du vent sur sa peau et entendra le vaste chant de l'horizon autour d'elle.

  Isa se laisse glisser du toit et marche en direction des trois gardes. Trop occupés à tricher, ceux-là ne la voient pas ni ne l'entendent. Isa n'est pas humaine, c'est une ombre, et dans la nuit les ombres sont invisibles. Elle s'avance, contourne le cercle de lumière qu'émet le feu et glisse sa petite main habile dans la poche du soldat blond. Ses doigts se referment sur la sacoche de pièces.

  Quand le soldat blond revient, l'ombre s'est déjà éclipsée. Il se réinstalle et quelques minutes plus tard, une querelle éclate entre les compagnons d'armes. Le soldat les accuse d'avoir volé sa bourse et les autres ripostent avec véhémence. Mais tandis qu'ils hurlent en gesticulant, aucun d'entre eux ne remarque la petite silhouette qui, à peine décelable escalade les escaliers, non par les marches mais par la paroi escarpée, dans leur angle mort.

  Les minutes passent et les cris s'éloignent. Isa entend son cœur battre et savoure la surface humide et rugueuse des pierres sous ses paumes. Elle s'élève au-dessus de la ville qui ne se réduit plus qu'à un hâlo de lueur jaunâtre dans le lointain, elle s'en va.

  Lorsque l'escalier s'enfonce dans la paroi en un boyau noir, Isa se hisse sur les marche et demeure quelques secondes assise à l'entrée du tunnel, le souffle court et les membres étrangement légers. Quelque chose de nouveau lui touche le visage, un souffle frais et pur.

  Le vent…

  Fébrile, l'enfant se redresse et commence à gravir les marches, s'aventurant à pas hésitant dans le tunnel obscur. La brise nocturne continue de lui effleurer le visage, agitant ses longs cheveux auburns. Si proche.

  Soudain, sous ses yeux encore empoisonnés par les ténèbres, se déploie enfin le ciel. Immense, profond et infini, le firmament déverse dans ses prunelles ébahies, une cascade d'étoiles opalescentes. Les milliers de joyaux scintillent et s'épanouissent comme autant de fleurs nocturnes.

  À ce spectacle éblouissant, Isa sent les larmes lui monter aux yeux. Ces yeux qui n'ont jamais rien vue d'autre que les sinistres entrailles de la Terre. Elle se sent minuscule, infinitésimale au cœur de cet océan d'astres brillants.

  Deux gardes l'interrompent soudain dans sa contemplation, étonnés de voir une gamine surgir du souterrain. Ceux-ci lui demandent la taxe de passage et Isa leur tend immédiatement l'argent volé. Mais suspicieux, les deux hommes la fixent et lui demandent alors des papiers d'identité.

  La jeune fille sent une main de fer lui entraver le cœur. Elle ne peut pas laisser ces soldats l'arrêter maintenant qu'elle est arrivée jusqu'ici. La liberté est là, à porté de main, si proche. Et le ciel…

  Isa repense à son couteau, elle révise mentalement sa leçon. Faire un pas de côté, se pencher, pivoter la cheville, saisir le couteau, se redresser, éviter le coup de son adversaire, plonger…

  Elle ne se laissera pas saisir. Dans quelques instants, elle sera libre.

                             •••

  Le lendemain matin, deux gardes venus prendre leur quart découvrent les corps. Ceux-ci gisent au sol, dépouillés de tout objet de valeur, gorge tranchée et uniforme imbibé de leur sang.

  Immédiatement, un rassemblement d'urgence est organisé dans la ville souterraine. Hommes, femmes et enfants sont rassemblés, rescencés et contrôlés.

  Quelques heures plus tard, la conclusion est sans appel. Bien qu'improbable, l'identité du coupable est désormais connue.

  Isadora Bell, onze ans, est accusée de vol, de meurtre et d'évasion des Souterrains.

  Mais ce qu'ils ne savent pas, c'est qu'Isadora Bell n'existe plus. Et Isa Keith est déjà loin.

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Hello les humains !

  Après un dimanche sans nouvelle publication, voilà un chapitre particulier.

  Une analepse (ou flashback comme vous vous voulez) du passé de notre chère héroïne. Pas très glorieux comme enfance n'est-ce pas ? Mais plutôt badass je trouve. À onze ans, moi je jouais encore à la déli-délo dans la cour de récré 😂 !

  Bref je vous souhaite à tous des vacances optimales et un Noël de qualité ! (Ne mangez pas trop de petits fours, ils faut savoir être raisonnable)

Bizou

𝐌𝐄𝐌𝐎𝐑𝐀𝐁𝐈𝐋𝐈𝐀 - LeviXOcOù les histoires vivent. Découvrez maintenant