17 : Échec

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  Le lendemain, alors que l'aube commençait tout juste à teinter le ciel de rose à l'horizon, le signal de repli fut lancé. Malgré la demande d'Hanji, Erwin avait catégoriquement refusé de continuer la mission, prétextant à juste titre que trop de soldats avaient péri et que des tâches plus importantes nous attendaient derrière les murs – notamment le recrutement.

  Pour le retour, la formation avait changé et l'escouade Levi se trouvait dorénavant assignée à  l'avant-garde, prête à en découdre avec le moindre titan. Sauf moi. Je galopais au centre, en compagnie de l'escouade de ravitaillement et… du ramassage des corps…

  Il ne faisait pas encore assez jour pour que les titans soient en nombre et en pleine forme. Nous avancions donc rapidement et efficacement. Et plus nous nous éloignions de la forteresse, plus les cadavres de soldats se faisaient nombreux. La plupart se résumaient à des bras, des jambes, des têtes, voire des torses entiers gisant, abandonnés sur le sol.

  Prenant sur moi, je ravalais les milliers de larmes qui à chaque instant, menaçaient de jaillir et m'occupais de ramasser les restes écarlates de mes frères d'armes. Ceux qui étaient morts en vain à cause de moi.

  Le sang avait eu le temps, de coaguler pendant la nuit. Pourtant, en moins d'une heure, mes mains se retrouvèrent rougies jusqu'aux coudes. Le ramassage était harassant physiquement et émotionnellement. Ils nous fallait sans arrêts faire stopper les chevaux, descendre de nos monture et ramasser les corps pour les entreposer dans les deux chariots. À chaque fois que mes doigts se refermaient sur un cadavre ou un morceau d'uniforme ensanglanté, une multitude d'images défilaient dans ma tête. J'imaginais les rires de ces soldats lorsqu'ils étaient encore en vie, leurs sourires et leurs joie. Les visages de tous ces morts se muaient en une brume grise et dansaient un ballet lugubre dans mon esprit, martelant mon crâne de leur litanie infernale.

  Isa… Isa Keith… voleuse… meurtrière… Isa… meurtrière… Rend nous la vieIsa… assassin… tueuse… meurtrière…

  Alors que ma nuque ployait sous le poids du remord et que chaque battement de mon cœur me donnait l'impression d'un coup de couteau dans la poitrine, je levai la tête et reconnus l'endroit où nous nous trouvions. Une horrible sensation de déjà vu m'assaillit subitement. Le hurlement d'agonie de Ryme ressurgit, palpitant dans mes tempes et toute la scène se déroula à nouveau sous mes yeux.

  Sentant ma brusque panique, le cheval pila et je me retrouvai projetée par dessus l'encolure de l'animal. Mon corps pétrifié heurta violemment le sol et mes paupières se fermèrent sous le choc.

  Quand ces dernières se rouvrirent, j'eus toutes les peines du monde à ne pas hurler d'horreur. Un visage blafârd gisait à quelques centimètres seulement du mien et deux prunelles bleues me fixaient, effroyablement vides, effroyablement mortes.

  « Ryme… »

                         •••

  Isa… tu nous a volé… voleuse… assassin… Isa Keith… tueuse… rend nous… Isa… rend nous la vie… meurtrière… Isa… meurtrière… meurtrière… meurtrière… meurtrièremeurtrièremeurtrière…

  Un tremblement secoua le sol jusqu'à ses tréfonds lorsque la gigantesque porte de Shiganshina s'éleva lentement. Épaisse de dix mètres, haute de trente et large de vingt, la porte était comme un gigantesque colosse en pierre décorée du profil de la déesse ayant donné son nom au premier mur : Maria.

  Le Bataillon, ou ce qu'il en restait, se pressait à l'entrée, prêt à s'y introduire dès que le major en donnerait l'ordre.

  Je redoutais cet instant. Tous mes muscles se contractèrent à la perspective de devoir traverser le district sous le regard haineux de la population.

  « Soldats, en avant ! »

  La voix du major résonna, puissante, jusqu'à l'arrière-garde. La misérable colonne de soldats s'ébranla pour pénétrer dans l'enceinte…

  … et le calvaire qui s'ensuivit fut presque pire que tout ce que j'avais vécu jusqu'à maintenant.

  Autrefois, j'avais déjà vu à plusieurs reprises le Bataillon revenir d'expédition. Je me souvenais très bien de l'ambiance lourde qui régnait sur tout le district de Trost, les murmures moqueurs ou indignés des civils et ce désespoir qui empoissait le visage des soldats. L'échec. Le deuil.

  Mais pour la première fois, j'assistai à ce spectacle en temps que comédienne. J'avançais, juchée sur mon cheval sous les yeux dégoûtés de la population, épaules affaissées et tête baissée.

  Je me sentais cernée et oppressée par les centaines de regards qui brûlaient ma peau et pénétraient mon âme comme autant de gouttes d'acide. Je percevais tout le mépris, la colère, la déception, la tristesse, la haine qui se déversaient sur nous par vagues successives. J'étais emportée par ce torrent furieux, impuissante.

  Mes doigts me donnaient l'impression d'être faits de pierre autour des rennes. Chaque inspiration m'écorchait la gorge et une boule s'était formée dans mon ventre, enflant au fur et à mesure que nous nous avancions dans la foule et devenant de plus en plus lourde, de plus en plus insupportable.

  J'entendais les murmures, les chuchotements de reproches, les insultes qui passaient de bouche à oreille.

  — Seigneur…
  — N'étaient-ils pas beaucoup plus nombreux quand ils sont partis ?
  — Il me semble que oui.
  — Regardez-les…
  — Et c'est à eux que va l'argent de nos impôts.
  — Ils ont l'air pitoyable.
  — Combien d'entre eux sont morts ?
  — C'est un massacre.
  — Quelle bande de pauvres fous miséreux !
  — Une boucherie…
  — Ils crèvent tous mais ça ne les empêchent pas de continuer à aller se promener dehors !
  — Rendez-nous notre argent !
  — C'est à cause de ce Major, il devrait être pendu.
  — Maman, le monsieur a plus de bras !
  — Oh Seigneur, ne regarde pas ça mon chéri…
  — Excusez-moi ! Phillip ? Où est mon fils ? Il devrait être là, je ne le vois pas… Phillip !

  Où est mon fils ? Je ne retrouve pas ma fille ! Vous n'auriez pas vu mon ami ? Il s'appelle Andre, et il n'est pas parmi vous… Maman, il est où papa ? Mon frère, je veux voir mon frère ! Minna, ma chérie, où es-tu ? Mon mari… Mon cousin… Ma mère…

  Je vous en supplie, dites-moi ce que vous avez fait de mon fils !!

                            •••

  Quand la porte intérieure de Shiganshina se referma derrière nous, me soustrayant enfin à cet infernal concert de haine et de désespoir, je ne pus retenir mes larmes.

  Avant aujourd'hui, j'avais été confrontée à la faim, à la peur, à la souffrance, à la mort, au remord…

  Mais pour la première fois, je me retrouvais confrontée de manière cuisante et brutale au poids de l'échec.

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Hey !

  Comment allez-vous ? Moi ça va.

Ce chapitre me plaît, je le trouve particulièrement visuel. En fait en le lisant, je me fais une image très claire et très marquante de la scène : comme dans un film (ou un animé du coup). Mais bon, étant donné que je possède un cerveau tordu, je ne sais pas si c'est valable pour vous aussi… Donnez moi votre avis ^^

  Sinon, ça n'a rien à voir mais j'ai une petite idée de la prochaine fanfiction qui fera son arrivée ici 😏 Il se trouve que j'ai récemment sombré dans la fandom de Sherlock et plus particulièrement dans celle du Johnlock *clin d'oeil exagéré*…

  Un univers complètement différent de celui de SnK mais la série de la BBC est excellente ! 😍

  Bref, bonne soirée, joyeux Noël et bonne année !

  Bizou

𝐌𝐄𝐌𝐎𝐑𝐀𝐁𝐈𝐋𝐈𝐀 - LeviXOcOù les histoires vivent. Découvrez maintenant