36. Chef

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  Malgré la terreur qui enflait, je m'efforçais de rester calme. La violence d'un combat titanesque contre moi-même et contre les tremblements qui cherchaient à me déchirer en lambeaux. Mais je n'avais pas le choix. Perdre ce combat là reviendrait à se laisser abattre par l'énormité de la situation. Ce que personne ne pouvait se permettre. Jamais.

  Comme me l'avait ordonné Levi, je me précipitai chez Erwin sans me retourner. Le temps n'était plus à la désobéissance ni à la discussion.

  Dans ma course je croisai plusieurs soldats qui arrivaient en sens inverse, tous rameutés par l'incendie et par sa lumière vive éclaboussant le ciel nocturne d'une couleur sanglante.

  Un climat d'inquiétude pesait sur le QG entier, porté tel l'ombre d'un oiseau de proie, par l'âcre odeur de fumé. Tout le monde semblait percevoir cette atmosphère lourde et menaçante imprégnant chaque particule du paysage. Les murmures échangés de bouche à oreille, comme si l'on craignait de réveiller l'obscurité, les regards où se reflétait l'éclat des flammes, les bruits de pas précipités se répercutant en écho dans la cour, les hennissement stridents des chevaux échappés au loin… tout cela contribuait à la fébrilité et à l'inquiétude générale.

  La nuit elle-même semblait retenir son souffle.

  Tous les soldats se trouvaient à l'extérieur désormais, en train de contempler les flammes ou à tenter de les éteindre. Les couloirs du QG étaient déserts et seule la rumeurs lointaine de voix me parvenait à travers quelques fenêtres ouvertes. Aucun vent ne soufflait et l'air pesait lourd sur mes épaules. J'avais l'impression d'être transportée au cœur d'une autre dimension, d'un autre Quartier Général, ou le temps se trouvait suspendu et où chaque arbre, chaque pierre et chaque molécule de nuit en subissait les conséquences.

  Luttant contre l'envie pressante de faire demi-tour pour retrouver le caporal, j'accélèrai et m'engageai dans le virage menant au couloir de l'administration. Sous ma peau, mon pouls affolé cherchait à crever cette dernière et déverser mon sang sur le sol de pierre. Là où le feu s'était frotté, mon épiderme commençait à se plaindre en dépit de l'adrénaline, toujours bouillonnante. Il s'agissait de la même sensation que si des centaines de petites échardes y plantaient leur dard et s'y enfonçaient un peu plus à chaque enjambée.

  Tout paraissait si long, s'écouler si lentement…

  Mais alors que je bifurquais à un énième angle de couloir, une silhouette arrivant en sens inverse manqua de me heurter de plein fouet. Freinant de justesse, je levai les yeux et eus le soulagement de croiser les regard bleu électrique d'Erwin, suivi de près par une Hanji trépignante.

  Instantanément, à la vue des deux officiers, le temps sembla reprendre son cours et s'écouler à nouveau normalement. Non, pas normalement : beaucoup trop vite. Où qu'il se trouvât, Levi était en danger et chaque seconde passée se révélait une précieuse seconde de perdue. J'avais la terrible sensation que s'étaient tramées à mon insu des choses inquiétantes, et que dorénavant, alors qu'il était trop tard pour agir, tout s'accélérait.

  Tentant difficilement de reprendre mon souffle, haché à la fois par ma course et par l'angoisse, je laissai le Major parler le premier.

  « Hauswal, lança-t-il avec un calme et une fermeté presque extraordinaire. Que se passe-t-il ? Où est Levi ? »

  Je ne pus retenir un tressaillement à l'emploi de mon faux nom. À chaque fois, entendre proférée cette identité à laquelle je ne parviendrais certainement jamais à m'attacher, ramenait à la surface une foule de souvenirs aussi bien agréables que douloureux.

  « Je… balbutiai-je avant me forcer à reprendre contenance, un incendie, à l'écurie ! Quelqu'un l'a déclenché pendant que nous étions…
  — Le Caporal-chef Ackerman, m'interrompit-il soudain. Où est-il ?
  — Parti chercher son équipement, Major. Quelqu'un lui en veut.

𝐌𝐄𝐌𝐎𝐑𝐀𝐁𝐈𝐋𝐈𝐀 - LeviXOcOù les histoires vivent. Découvrez maintenant