𝐌𝐄𝐌𝐎𝐑𝐀𝐁𝐈𝐋𝐈𝐀 - LeviXOc

23 : Jugement

  « Erwin Smith, savez-vous pourquoi vous êtes ici en notre présence ? »

  La salle d'audience royale était immense et lumineuse. Les rayons du soleil se déversaient par les vitraux multicolores qui occupaient le vatse mur. Un titanesque lustre de cristal se trouvait suspendu au centre du plafond, ses pampilles de cristal décomposant élégamment la lumière.

  Assis au bout de la longue table de bois se trouvait Erwin, poignets enchaînés, cheveux ébouriffés et traits tirés. Il avait passé deux nuits dans l'obscurité des cachots d'Utopia, privé d'eau et de nourriture, attendant calmement l'heure de son entretien. L'heure fatidique était arrivé.

  À l'autre bout de la table, vingt mètres plus loin, se tenait le roi Fritz, la tête mollement appuyée dans sa paume et une mèche de cheveux blanc barrant son visage. Son regard était vide, semblant fixer un point au-delà d'Erwin, que lui seul percevait.

  Le Major, perspicace malgré la fatigue, savait parfaitement que son véritable adversaire aujourd'hui n'était pas le roi. Celui-ci n'était qu'un pantin, une marionnette à la merci des seigneurs corrompus peuplant le mur Sina. C'étaient eux ses ennemis, tous ces hommes pervertis, assis autour de la table et qui le fixaient de leur regard méfiant.

  Erwin redressa le menton et adressa à Lord Reiss un sourire calme. Le petit homme bedonnant aux cheveux poivre et sel le fixait de deux yeux incroyablement bleus.

  « Non, déclara Erwin sans se départir de son demi sourire. »

  Rhodes Reiss tressaillit.

  « Comment ça "non" ? »
  — Eh bien non. J'ai peur de ne pas comprendre les chefs d'accusation dont je suis l'objet. »

  Le Lord serra les dents, non sans lancer au roi à sa gauche, un regard irrité. Ce dernier l'ignora superbement, toujours plongé dans son insondable dimension hors du temps et de l'espace.

  « C'est pourtant simple ! s'agaça Reiss. Vous avez, il y a de cela deux ans, contribué à l'acquittement d'Isadora Bell, dans une affaire de violence sur mineur.
  — C'est vrai. Parce qu'Isa était innocente. »

  Reiss respira un peu plus bruyamment.

  « Isadora, était effectivement innocente. Mais votre implication dans cette histoire nous a paru suspecte. Nous avons ensuite découvert qu'Isadora était une des criminelles les plus recherchées de la capitale et que durant deux ans, vous l'aviez nourrie et blanchie…
  — Parce qu'Isa est un soldat du Bataillon, coupa Erwin.
  — … sans même lui avoir prodigué les quatre années de formation nécessaires à un soldat.
  — Elle n'en avait pas besoin. Aujourd'hui, Isa Keith surpasse nombre de ses camarades.
  — Ce dévouement en sa faveur nous a grandement intrigués. Et voilà que lorsque nous venons pour l'arrêter en bonne et due forme, votre homme de main attaque deux de nos soldats et s'enfuit avec elle.»

  Cette fois, Erwin marqua une pause. Il n'en montrait rien, mais voir Reiss et les autres Lord perdre patience était fort distrayant.

  « Levi ne supporte pas qu'on lève la main sur son escouade, justifia le Major sans paraître le moins du monde ébranlé. Et vos hommes l'ont maltraitée.
  — Mais c'est une criminelle ! s'écria Reiss, les yeux lançant des éclairs.
  — Je n'en avais pas la moindre idée à ce moment là.»

  Le Lord crispa son poing sur la table tandis que les autres seigneurs échangaient un regard empli d'appréhension et de colère mêlées. Tous ici, haïssaient Erwin et l'idéal de liberté et qu'il représentait. Cette ardeur et ce courage renvoyaient une image un peu trop glorieuse de l'armée et pouvait être susceptibles de faire naître dans l'esprit du peuple, des images bien trop révolutionnaires à leur goût. D'où les moyens qu'ils employaient pour dénigrer le Bataillon et ses recrues. Toutefois, au fond d'eux, malgré leur puissance et leur position, tous craignaient Erwin et le respectaient. Devoir s'attirer les foudres du Major les inquiétait.