𝐌𝐄𝐌𝐎𝐑𝐀𝐁𝐈𝐋𝐈𝐀 - LeviXOc

25 : « À Tina Hauswal... »

  Les doigts crispés autour de mon verre, je contemplais la voûte nocturne qui s'étirait loin, tout là-haut. Chaque étoiles brillait comme une larme, silencieux témoignage de tristesse. Le ciel semblait pleurer pour moi et ma solitude. Moi qui ne retrouverais jamais une vie simple, ni même peut-être heureuse, qui ne serais plus jamais la Isa d'autrefois. Moi qui ne reverrais jamais Cha… Si seule…

  Dans la chambre, la petite fête battait son plein. Jesper et Teresa se saoulaient bruyamment, assis face à face autour d'une table et enchaînaient les verres de whisky. La victoire irait à celui des deux qui tiendrait le plus longtemps sans vomir ni s'effondrer. Hanji, rayonnante, arbitrait l'affrontement en voiciférant joyeusement tandis qu'Erd assistait à la débauche en riant.

  Bien que la fête soit organisée en mon honneur, j'étais la seule à ne pas l'apprécier. À l'exception peut-être de Levi qui se tenait assis dans un coin, et observait silencieusement ses subordonnés s'enivrer. Je me sentais bizarre. Il m'était difficile de déterminer ce qui me dérangeait le plus entre le fait d'être officiellement décédée et celui d'avoir usurpé l'identité d'une jeune femme morte lors de la dernière expédition. Tina Hauswal faisait ma taille, mon âge, n'avait aucune famille vivante pouvant témoigner de l'imposture et possédait plus ou moins la même nature de cheveux que moi. Il n'avait fallu que quelques coups de ciseaux dans ma tignasse auburn et quelques coups de crayons sur un rapport pour qu'Isa Keith meurt et qu'en une fraction de seconde, je me réincarne en recrue Hauswal. Tina, se tenait dorénavant debout sur ce balcon un verre plein à la main, tandis qu'Isa, gisait enterrée dans le cimetière du QG, à quelques mètres de là.

  Et Tina Hauswal se sentait désespérément seule. D'une solitude qui lui oppressait les poumons comme un étau et pesait sur ses épaules. Ses yeux embués fixaient les étoiles.

  Je ne m'aperçus de la présence du caporal que lorsque celui-ci franchit le seuil du balcon pour venir s'accouder machinalement à la rambarde, près de moi. Lui aussi tenait un verre d'alcool entre les doigts. Et lui non plus n'en avait vraisemblablement pas bu une goutte.

  « Comment ça va gamine ? »

  Sa voix résonna, étonnement claire et proche. Surprise par cette marque d'attention de sa part, je baissai les yeux sur le whisky qui patientait dans ma main. Ces derniers temps, bien qu'il n'ait pas renoncé à son autorité presque tyrannique, le caporal semblait me parler plus que de coutume et de moins en moins froidement. À moins que ce ne soit que l'effet de mon imagination trop fertile.

  « J'ai connu mieux, confessai-je dans un soupir. »

  Euphémisme. J'avais beau me savoir plus libre que jamais, débarrassée du fardeau que représentait les autorités, une part de moi avait disparue. Une part encore innocente de mon être, que ni la guerre, ni l'horreur, ni la mort n'étaient parvenus à briser. En acquérant ma liberté, j'avais perdu Cha. Et en perdant Cha, j'avais également anéanti cette part-là de moi-même.

  « Tu aurais pu connaître pire, tempéra Levi d'une voix neutre.
  — Finir comme la vraie Tina Hauswal par exemple ?
  — Par exemple. »

  Un silence suivit ce bref échange. Un silence confortable. Étrangement, depuis notre conversation en forêt, la présence du caporal ne me perturbait plus autant qu'avant. Ou du moins, pas de la même façon.

  Avant les confessions échangées ce jour là, Levi m'intimidait, voire m'effrayait. Il ne m'arrivait jamais de croiser son regard sans trembler de crainte à l'idée d'être réprimandée, raillée ou punie. Aujourd'hui, mon corps réagissait toujours en sa présence mais de manière radicalement différente. Lorsqu'il me regardait, mon pouls s'emballait et mes joues rougissaient. Lorsqu'il me touchait, ma peau crépitait et mon corps entier frémissait de manière incontrôlable.