21 : «Je me souviens...»

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  «Isadora Bell, vous êtes en état d'arrestation pour vol, meurtre et évasion de la ville souterraine

  Ces mots furent comme une avalanche, un raz de marée, une explosion à l'intérieur de mon corps. En une fraction de seconde, je me retrouvai de retour dans les Bas-fonds. Le bureau d'Erwin avait disparu, laissant place aux venelles sombres, aux ténèbres épaisses au goût de la misère sur ma langue, à la caresse de la mort sur ma peau. Je n'étais plus Isa Keith, mais de nouveau Isadora Bell, l'enfant terrifiée, l'enfant brisée.

  Quand le soldat s'avança pour me frapper, ce ne fut pas son poing que je sentis s'écraser sur ma figure et éclater ma pommette, ce furent les doigts épais et blême de mon père, les doigts du monstre. Impuissante, je laissai ma tête partir en arrière et heurter violemment le coin du bureau. Une explosion de points noirs envahit mon champ de vision. À travers l'épais voile de souvenirs qui embrumait mon cerveau, je pouvais distinguer le soldat se pencher sur moi pour me frapper à nouveau.

  « Vous nous avez échappé pendant douze ans, Isadora ! lança le soldat d'une voix courroucée. Maintenant vous êtes faite comme un rat. »

  Mais je n'entendais pas ses mots ni sa voix. Seulement celle du monstre qui hurlait, me martelant inlassablement le crâne.

  « Je suis là Isa ! Je t'ai retrouvée petite conne ! Papa t'a retrouvée ! Maintenant je vais devoir te punir ma chérie… »

  Mon âme était en miettes, et chaque fragment hurlait d'agonie. Les cicatrices s'étaient rouvertes et saignaient. Papa était de retour, le monstre, et chaque coup que me donnait le soldat était un lambeau de moi-même qui se déchirait.

« Après tout ce que j'ai fait pour toi, je t'ai élevée, aimée… Et voilà comment tu me remercies ! Tu t'enfuis, tu m'abandonnes ! »

  Son haleine fétide et empuantie d'alcool balayait mon visage, m'empêchant de respirer. Des larmes brûlante traçaient deux sillons ardents sur mes joues.

  «Ne refais plus jamais ça Isa. Ne part plus jamais ou je te casserai en deux tu m'entends ? Je te briserai

  Je sentais l'humidité des bas-fonds m'oppresser de toute part et l'air chargé de misère humaine se déverser dans mes poumons, épais et tangible.

  Un terrible sifflement emplissait ma tête, ma vision se brouillait, mon sang chaud et gluant ruisselait dans mes cheveux… je mourrais. Les souvenirs étaient en train de me tuer.

  Mais tandis que je m'abandonnais à la souffrance, persuadée de mourir seule et impuissante, un fracas retentit dans toute la pièce : le bruit d'une porte que l'on enfonçait avec violence. Quelques secondes plus tard, des cris surgirent, puis les doigts du soldat – de mon père – dessérrèrent leur étreinte et lâchèrent ma gorge. Je glissai le long du mur telle une loque.

  Soudain, une présence se fit sentir, proche de moi, une présence qui n'appartenait pas au passé ni à mes souvenirs mais bel et bien ancrée dans le présent, dans le QG, dans le bureau d'Erwin. Levi…

  Le caporal effleura mon front du bout des doigts et je discernai à travers les ombres, son visage pâle et furieux. Un son à mi-chemin entre le gémissement et le sanglot s'échappa de ma gorge.

  « Gamine. Isa. Est-ce que tu peux te lever ?
  — J… je… Cap… »

  Le caporal serra les dents, et sans attendre glissa un bras sous mon dos et l'autre sous mes genoux. Aussi facilement que si j'avais été de plume, il me souleva et je m'agrippai par instinct à sa chemise. Je ne devais pas le lâcher, je ne pouvais pas. Il était mon seul repère et la seule chose qui me protégeait de l'ouragan rugissant de souvenirs. Le lâcher signifierait être avalée, engloutie, mourir.

𝐌𝐄𝐌𝐎𝐑𝐀𝐁𝐈𝐋𝐈𝐀 - LeviXOcOù les histoires vivent. Découvrez maintenant