I. 3 septembre (2/2) - réécrit

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 Au saut du lit, Millie et Liam trouvèrent un paquet doré sur leur coffre à jeux. Le beau nœud du ruban portait la signature de leur mère. Monsieur Poppy n'avait ni le doigté ni la patience pour cela.

– Maman et papa m'ont offert une mallette à dessins ! s'exclama Millie à la table du petit-déjeuner festif préparé par leurs parents. Et toi, Liam ?

– Un sac avec serviette, maillot de bain, raquettes et palmes pour la natation, répondit-il sur le même ton joyeux que sa sœur.

Puis ils se servirent avidement une part du gâteau de crêpes dont le fourrage était dissimulé sous une couche enneigée de crème Chantilly.

L'été était encore là, le ciel arborait un bleu estival. Une bonne partie de la journée, Millie fit ses premières armes au fusain. Assise dans l'herbe, son carnet posé sur ses genoux, elle profitait de la douceur et s'exerçait avec les rosiers pour modèles. De l'autre côté du jardin, Liam disputait une partie de football avec son père. La victoire de monsieur Poppy lui soutira des cris que madame Poppy considéra audibles dans tout le quartier.

– Et on dit que les Anglais sont discrets et distingués, ironisa-t-elle auprès de son mari qui shoota dans sa direction.

Elle n'esquiva pas et exécuta un retour à l'envoyeur que personne n'avait vu venir.

Pour leur soirée d'anniversaire, ils ne changèrent pas leurs habitudes : le dîner se déroula chez leurs grands-parents qui vivaient dans un riche appartement du centre-ville. L'apéritif déjà bien fourni fut l'occasion pour chacun de recevoir une enveloppe avec un chèque conséquent.

– Vous vous achèterez ce qui vous fera plaisir, marmonna leur grand-père alors qu'ils l'embrassaient.

Puis s'ensuivit un repas de fête pendant deux heures.

– Mamie, tu as encore mis les petits plats dans les grands ! la félicita Millie alors qu'ils venaient tous de s'installer dans les canapés en cuir du salon.

La jeune fille adorait venir chez eux. Elle les trouvait dynamiques, drôles et cultivés. Elle ne comprenait pas ses copains et copines qui s'ennuyaient d'aller chez leurs grands-parents. Sa grand-mère, Ludovica, lui apprenait plein de nouvelles choses : sur les expositions des musées en ville ou à la capitale, sur les spectacles de théâtre ou de musique auxquels elle assistait, sur de nouvelles lectures ou films. Son grand-père, Ernest, aimait la marche, le grand air et le bricolage. Il chinait aussi beaucoup dans le quartier des Antiquaires.

Leur appartement était ancien, pourvu de bibliothèques sur-mesure casées entre les poutres et les cheminées du salon et des chambres qui lui insufflaient ce charme particulier. Ernest se leva pour changer la face du vinyle et les lames du parquet chantèrent.

– Qui veut un macaron avec son café ? demanda Ludovica en présentant une assiette emplie de rondeurs acidulées.

– Le gâteau m'a achevé, refusa Liam, poliment.

C'était à croire que les parents de leur mère craignaient une nouvelle guerre. Il y avait encore des restes du repas pour toute une armée.

Seul le grand-père, dont Liam soupçonnait qu'il avait un deuxième estomac pour survivre aux quantités pharaoniques ingurgitées, piocha un macaron dans l'assiette.

– Citron, annonça-t-il. Parfait !

Puis il proposa à Monsieur Poppy, son gendre apprécié :

– Brett, un p'tit digestif pour faire couler tout ça ?

– Volontiers.

Devant la bouteille de rhum dont les reflets ambrés irisaient les verres miniatures, Liam tenta :

– J'en veux bien un aussi !

Madame Poppy répliqua :

– Tu rigoles, Liam. Tu es trop jeune.

Phrase ponctuée par l'approbation de Ludovica.

– Un tout petit, maman ? J'ai quinze ans, allez !

– Techniquement, non, mon chéri. Vous n'êtes pas encore nés, dit-elle en regardant le cadran de la comtoise du salon. D'abord ta sœur à vingt-trois heures cinquante-quatre, puis toi...

– A vingt-trois heures cinquante-huit, je sais, acheva-t-il en comprenant que son verre de rhum ne lui serait pas servi ce soir.

– Oui, tu n'auras quinze ans qu'à vingt-trois heures cinquante-huit, répéta sa sœur. Après moi !

L'odeur du café et des tisanes s'éleva dans les airs. Millie s'approcha de sa grand-mère qui l'enveloppa de ses bras.

– Ma grande, demain c'est le grand jour. La rentrée au lycée, déjà !

Elle embrassa sa petite-fille sur le front.

– Vous allez entrer dans un monde de responsabilités, la première amorce vers le monde des adultes, déclara Ernest. Aussi, avec votre grand-mère et vos parents, nous avons pensé à ceci.

Il sortit d'en-dessous son fauteuil deux cadeaux identiques.

– Mais, papy, on a déjà été gâtés ! nota Millie.

– On n'a pas tous les jours quinze ans.

Millie et Liam déchirèrent ensemble le papier bleu.

– Un smartphone !

Liam n'en revenait pas, ses parents s'y étaient toujours opposés. Il retourna la boîte dans tous les sens. De tout le collège, ils étaient les seuls à ne pas disposer d'un téléphone portable. Monsieur et madame Poppy n'en avaient jamais vu l'utilité puisqu'ils habitaient chez eux, ne sortaient pas plus loin que leur pâté de maison, pouvait utiliser le téléphone fixe des parents des copains si nécessaire et le collège se trouvait juste derrière leur maison.

Mais là, ils étaient fiers de leur coup et admiraient l'expression mêlée de surprise et de bonheur sur le visage de leurs enfants. Le moment se termina en embrassade et exclamation de joie.

– Si avec tout ça ils arrivent à dormir ce soir ! déclara Ludovica en riant.

– Oui, d'ailleurs, c'est l'heure de partir. Demain on remet le réveil en route ! dit madame Poppy en voyant que les vingt-deux heures approchaient.

Ils quittèrent l'appartement, avec la promesse d'appeler le lendemain pour raconter ce premier jour au lycée.

De retour dans leur maison, les jumeaux revêtirent en un rien de temps leur pyjama et embrassèrent leurs parents avant de rejoindre leur chambre respective. Leurs affaires étaient prêtes. De nouveaux vêtements étaient posés sur leur bureau, un cartable flambant neuf remplis de cahiers vierges et de toutes les fournitures réclamées sur la liste trônait sur leur chaise de bureau. Les achats avaient été un plaisir dans le grand centre commercial du coin.

Malgré l'excitation, Liam quitta bien vite la partie de son jeu vidéo et Millie le chapitre de son livre, tous deux emportés par la fatigue.

En bas, Brett et Clémence Poppy mirent en fonctionnement les smartphones pour qu'ils soient opérationnels dès le lendemain matin. Puis la maison plongea dans le noir lorsque le couple rejoignit la chambre à coucher.

A l'étage, plongée dans un demi-sommeil, Millie ressentit une douleur furtive au ventre. Elle grogna, se retourna sans ouvrir les yeux.

Quatre minutes plus tard, Liam eut un hoquet qui ne le réveilla pas.

Le réveille-matin indiquait : 23H58.


Gemini PoppyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant