I. 3 septembre (1/2)- réécrit

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 Jusqu'à ce jour, Millie et Liam Poppy menaient ce qu'on appelait une vie paisible.

Comme de nombreux adolescents, après quatre années de collège sans grands éclats, ils s'apprêtaient à faire leur rentrée au lycée. C'était la promesse d'une nouvelle vie, d'autant plus que leurs parents avaient insisté sur un point : ils ne seraient plus dans la même classe.

Cette décision résultait d'une insistance administrative inédite chez monsieur Poppy. Leur père souhaitait ardemment briser ce cycle pendant lequel professeurs et élèves n'avaient cessé de les comparer, fascinés par ceux qu'ils appelaient les jumeaux.

Monsieur et madame Poppy s'étaient mordu la langue plus d'une fois. Si le corps professoral ou leurs camarades ne pensaient pas à mal, la comparaison ne leur plaisait pas. Millie et Liam étaient deux êtres bien distincts et non pas des bêtes de foire ; une consigne claire trop rarement respectée.

Leurs parents savaient que la vie les amènerait sur des chemins étranges, ils avaient fait leur possible pour que leur enfance soit simple, ou du moins aussi normale que pour tout enfant de ce siècle.

Millie et Liam étaient très proches, et ce malgré leurs différences que les autres ne manquaient pas de souligner, à commencer par la plus fondamentale : ils étaient de sexe opposé.

À leur naissance, Clémence Poppy, qui désirait garder la surprise quant aux deux êtres nichés dans son ventre, fut soulagée, convaincue que cela les aiderait à grandir sans être constamment épié.

Elle s'était trompée. Ils avaient beau ne pas se ressembler, pas même comme un frère et une sœur d'âge différent, le fait de les savoir jumeaux suscitait fascination et nombreux furent ceux qui, croisant leur chemin, les avaient mis en miroir, traquant le point commun, voire le lien exceptionnel. Et cela avait commencé dès la maternité, aux premiers hurlements :

– Dis donc, la petite a de la voix ! Elle n'arrête pas. Son frère, lui, est si calme.

Les Poppy avaient alors échangé leur tout premier regard « et c'est parti pour un tour ». Mais le bonheur des jeunes parents était alors incommensurable et ce fut un rire de joie partagée qui s'échappa de leurs yeux.

Leurs enfants désormais aux portes du lycée, ils ne savaient plus combien de fois ils avaient échangé ce regard. Madame Poppy avait cessé de compter depuis longtemps, mais la famille s'accordait à dire que la palme du plus grand nombre de réflexions revenait à la première réunion parents-profs en sixième.

« C'est le jour et la nuit !» avait commencé le professeur principal, puis madame Néron, enseignante des Arts-Plastiques, avait souhaité : « Si Liam était aussi posé que sa sœur, ce serait mieux ! Ha, ha ! Non, mais nous n'allons pas les comparer ! ». Pourtant elle n'avait pas arrêté de le faire tout au long de la réunion. Le prof d'éducation physique et sportive avait sa préférence : « Si tu courais aussi vite que ton frère, tu aurais de meilleures notes », celui de latin s'était pensé original avec son : « C'est vraiment le jour et la nuit ! », tirade déjà utilisée par le professeur principal ; la prof de mathématiques avait précisé : « On commence par Liam. Millie, tu peux attendre avec ton père ou ta mère dans le couloir ? On est là pour parler de l'un et pas de l'autre » pour finalement utiliser Millie comme mètre-étalon sur les points positifs et négatifs de Liam : « Il est plus sociable que sa sœur, non ? », et la professeure d'anglais, tout aussi subtile que les autres, avait conclu l'entretien par un énième : « C'est le jour et la nuit ! ».

Revenu à la maison, les Poppy avaient fini par en rire autour d'une pizza en singeant les professeurs.

– Pas un pour rattraper l'autre !

Monsieur Poppy avait prédit ce genre de situation. Avant la rentrée au collège, il avait demandé au principal de les séparer. Monsieur Bélanger avait assuré ne rien pouvoir faire, c'était trop tard. Pour les Poppy, c'était de la mauvaise foi. Le principal voulait plutôt qu'on le laisse tranquille. Quant aux jumeaux, intimidés par l'arrivée chez les grands, ils avaient affirmé qu'être dans la même classe aurait ses avantages. Alors la famille s'en était accommodée.

En dépit des remarques, qui semblaient surtout agacer leurs parents, Millie et Liam vivaient loin de tout tracas. Ils étaient à mille lieues d'imaginer ce que leur réservait l'avenir. Pour l'heure, ils trépignaient d'impatience de découvrir le nouveau monde lycéen. Et ce pour des raisons différentes : Liam attendait les cours de sport bien plus variés et Millie les nouveaux élèves qui, elle l'espérait, ne seraient plus des « sacs-à-crottes ».

Mais ce lundi 3 septembre était une date de double importance. En plus d'être la veille de la rentrée lycéenne, c'était le jour de leurs quinze ans.  

Gemini PoppyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant