IX. Bons voeux (1/3) - réécrit

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 Les professeurs balayèrent les interrogations de Millie lorsqu'elle leur demanda si les jumeaux étaient menacés.

– Vous avez déjà bien à faire. Consacrez-vous à vos études ! A quinze ans, vous avez encore l'avantage de vivre dans l'insouciance, affirma monsieur Heurtebise.

Liam marmonna qu'il était décidément dans la contradiction.

Si les gemini s'investissaient beaucoup lors des Travaux Pratiques, ils avaient néanmoins du retard sur le reste du programme. Les professeurs enchaînèrent donc les enseignements en lien avec la notion de la dualité.

Les jumeaux apprirent qu'écrivains, sociologues, psychanalystes et autres penseurs avaient déjà beaucoup philosophé sur la question. La gémellité incarnait tous les aspects doubles du monde. Millie, Liam et leurs camarades étudiaient donc des textes à n'en plus finir concernant le conflit entre le bien et le mal, le ciel et la terre, le visible et l'invisible ou encore l'amour et la haine. Autant de thèmes qui passionnaient l'humanité depuis la nuit des temps.

– Certains vont jusqu'à dire que les jumeaux sont une même âme divisée en deux, déclara madame Goblet devant une assemblée d'une relative indifférence en cette fin d'après-midi.

Quelques jours plus tard, les gemini se mirent sur leur trente-et-un. C'était d'ailleurs la première fois que Liam portait une cravate.

– Ne compte pas sur moi pour te la nouer, dit Novak qui avait laissé tomber après deux essais infructueux face au miroir du lavabo.

Tous étaient attendus à la cérémonie des vœux. L'événement réunissait les trois institutions du département chargées de l'éducation des jumeaux et se déroulait dans un ancien manoir du centre-ville devenu lieu dédié aux séminaires et autres fêtes plus ou moins officielles.

Olof et Léoncie affrétèrent un bus pour traverser la ville avec tous les étudiants et les professeurs de la Table.

En descendant, abritée par le parapluie de monsieur Heurtebise, Millie trouva que la rotonde du manoir ressemblait à celle du Rectorat : grande et magnifique. Ses fenêtres en arcade épousaient la rondeur du mur en pierre. C'était dans celle-ci que la cérémonie aurait lieu.

Une certaine appréhension gagna les nouveaux à la vue des silhouettes inconnues derrière les voilages. Ils suivirent de près les deuxième et première années qui ouvraient le chemin. Luc et ses amis étaient impatients de retrouver les élèves des deux autres institutions.

Olof n'était pas encore arrivé aux vestiaires qu'un homme à la barbe charbon se présenta à lui. On aurait dit qu'il l'attendait :

– Mon cher Olof. Chère Léoncie !

– Bonsoir, Mauric. Est-ce que Maddie est arrivée ?

Mauric Malgorn était le doyen des Trois Fontaines.

– Si, mais le micro du pupitre fait des caprices. Elle tente de régler le problème. Alors, voici vos nouvelles recrues ? Ils ne sont pas très nombreux, cette année.

Il détailla les nouveaux gemini des pieds à la tête. Sa taille moyenne n'empêchait pas sa prestance, mais il n'avait ni la bienveillance d'Olof, ni la classe naturelle de Léoncie. Son regard rencontra celui de Millie. Mal à l'aise, elle dévia le sien vers un cheveu imaginaire posé sur sa robe.

– Vous êtes ? demanda-t-il aux jumeaux.

Lorsque Millie et Liam se présentèrent, Mauric eut un temps d'arrêt. Elle eut le sentiment qu'ils savaient déjà comment ils s'appelaient.

– Ah, ça y est ! coupa une dame avec un chapeau du siècle dernier. Saleté de micro, ça ne marche jamais du premier coup !

– Maddie, tu nous as encore sauvé, ironisa Léoncie pendant qu'elles s'embrassaient.

– Tout se passe bien chez Saint-Augustin ? demanda Olof en guise de salutation.

– Toujours !

Les relations semblaient bien plus amicales. Léoncie et Madeleine se parlaient comme de bonnes amies. C'était beaucoup moins formel qu'avec Mauric.

– Tout le monde dans la grande salle ! ordonna Olof auprès des derniers gemini qui n'avaient pas osé quitter le vestibule.

Millie et Liam trouvèrent leur place à l'une des grandes tables. Herman et Novak se disputèrent la meilleure chaise mais Luc leur intima de se calmer.

– Les Folio, ne commencez pas ! Mais vous avez quel âge ?!

C'était une cérémonie, après tout.

– Vous avez senti le froid polaire entre Olof et l'autre doyen ? demanda Brume en s'installant sur sa chaise.

– Il m'a laissé une drôle d'impression, confirma Millie alors que Mauric s'asseyait à côté d'Olof.

Le doyen de la Table semblait l'ignorer.

– Croyez-moi, on est bien tombé, intervint Luc. Le père Malgorn n'a rien à voir avec Olof. Il existe une rivalité entre eux. Il éprouve une jalousie envers la Table qui cache, en réalité, une divergence de point de vue sur notre condition.

– C'est-à-dire ?

– Chut ! Le discours va commencer ! pesta un élève derrière eux.

Madeleine se tenait derrière le pupitre :

– Un, deux, un, deux. Trois petits coquelicots s'ouvrent sous le chapiteau. Parfait, ça fonctionne !

Elle se racla la gorge.

– C'est avec grand plaisir que nous nous retrouvons pour célébrer cette nouvelle année. C'est l'occasion de resserrer le lien entre nous. Olof, doyen estimé de La Table, institution ancestrale, et ...

Millie fut déconcentrée. Un grand dadais ricanait sur la table non loin d'eux. Elle le surprit en train de remettre une fiole dans la poche intérieure de sa veste et son instinct lui suggérait que ce n'était pas un simple jus d'orange. Luc, qui n'avait pas vu qu'il avait amené de l'alcool, lui fit signe de se taire. Il l'ignora totalement, sans effacer son rictus désagréable.

– C'est qui ? chuchota alors Millie.

Luc se pencha en avant pour éviter de gêner les autres. Mais finalement tous l'écoutaient lui :

– C'est Léandre Lupin de Fondeterre. Élève de troisième année aux Trois Fontaines. Le protégé de Mauric, tout aussi agréable, ironisa-t-il d'un ton peu flatteur.

Millie trouvait qu'il faisait bien plus que son âge, sûrement du fait de sa barbe. C'était vrai que ça lui donnait un air de ressemblance avec Mauric, sauf que Léandre devait le dépasser d'au moins deux têtes.

– Lui aussi n'aime pas...

– Chut !

Cette fois ce fut Léoncie qui fronça les sourcils en direction de leur table. Millie reporta donc son attention sur le discours. Madeleine mentionna Grégoire Tabula, créateur historique de La Table, celui sans lequel l'éducation des jumeaux du pays n'existerait pas. Mais ils avaient déjà eu un cours sur le fondateur de leur institution. Olof en parlait souvent avec ferveur.

Enfin, après le renouvellement des bons vœux, tous applaudirent et le buffet des cocktails fut accessible. Les gemini ne se firent pas répéter d'aller passer commande auprès des serveurs.

Gemini PoppyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant