X. Sortie givrée (3/3) - réécrit

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 Monsieur Heurtebise attendit avec ses élèves devant l'arrêt désert. Il neigeait dru. Alors il jeta un œil vers le parking où sa voiture commençait à disparaître.

– Mince, pesta-t-il, vous ne rentrez pas tous dedans...

Heureusement pour lui, un dernier bus franchit le virage au loin et s'arrêta au moment où le haut-parleur précisa que la compagnie de transport de la ville cessait le trafic à cause de la météo.

– Ouf, la chance ! affirma Novak alors que les portes s'ouvraient.

Un chauffeur taciturne qui semblait pressé de rentrer les salua à peine. Monsieur Heurtebise s'assura qu'ils montaient tous à bord.

– Ça va aller ? demanda-t-il au chauffeur.

Il grogna un :

– Oui, ce n'est que de la neige. Vous montez, ou bien ?

– Non, je suis en voiture. Enfin, je vais essayer de déblayer...

– Bien !

Et il actionna la fermeture des portes sans écouter sa réponse et s'engagea dans la côte qui descendait vers le centre-ville.

– On a le bus pour nous tout seul. C'est royal, non ? affirma Liam.

Les gemini se groupèrent à l'arrière, bien contents de se réchauffer.

– Je ne sens plus mes pieds ! dit Millie.

– On s'est caillé sévère, et ce n'est pas la belle histoire d'Heurtebise qui allait nous réchauffer ! ironisa Paul.

– C'est terrible quand on y pense, répéta Brume.

La chaleur amena Millie à un état cotonneux tandis qu'elle regardait un paysage familier disparaître sous une nouvelle couche de neige. Ils passèrent un nouveau virage dans la descente mais le panorama de la ville s'emmêlait dans les flocons. Ciel et terre semblaient se confondre dans une grisaille laiteuse, annulant la notion d'espace. Millie eut l'impression que c'était une nouvelle ville. Voilà des années qu'il n'avait pas neigé alors elle ne se rappelait pas avoir déjà vu son monde dans cet état. Très peu de voitures circulaient sur leur axe, ça ressemblait à un lieu fantôme, surtout que la nuit tombait déjà.

– Tu ne trouves pas qu'il roule vite ? demanda Liam à côté d'elle.

De fait, maintenant qu'il le disait, Millie était d'accord avec lui.

– Il a hâte de rentrer au bercail !

Le bus amorça sa dernière descente, la plus longue, après un virage serré. Une chaumière perdue dans un champ en contrebas donnait l'impression qu'ils étaient en pleine campagne. Pourtant derrière le bois, c'était le centre-ville. Le chauffeur accéléra encore.

– Il est fou !

– Oh, ça va pas ! lui cria Liam.

Paul et Brume, restés debout, devaient se tenir fermement à la barre. Mais le chauffeur ne répondit pas, il continuait d'accélérer.

Ce n'était pas normal. Les roues glissaient. Si ça n'avait pas été une ligne droite, il aurait déjà fini dans le fossé.

– Ne me dites pas qu'il est mort !

Millie remonta jusqu'au chauffeur en se tenant du mieux qu'elle pouvait. Liam répéta :

– Monsieur, oh ! Vous foutez quoi ?!

Les gemini essayèrent d'avancer. Les vibrations étaient de plus en plus fortes. Le chauffeur jeta un regard derrière son épaule. Le sang de Millie se glaça : il était bien vivant et en pleine possession de ses moyens.

– Arrêtez ! Mais !...

– Alors, c'est tout ce que vous savez faire : pleurnicher ? railla-t-il.

Aucun ne répondit, trop choqué.

– Arrêtez le bus ! tonna Liam.

– Sinon ?

Il donna un coup de volant et ils se rattrapèrent les uns aux autres en criant. En touchant Liam, Millie eut une vision : le bus terminait sa course en frappant les murs rocheux, son frère et les autres passaient à travers les vitres brisées.

Elle cria.

– Millie ? Qu'est-ce que tu as ?!

– Nous allons nous écraser !

Elle montra les blocs de pierre dont le bus s'approchait dangereusement. Le chauffeur perdit tout contrôle, il avait beau jouer des freins et du volant, le véhicule grondait sur la route poudreuse. Des volutes de neiges explosaient.

– Faites quelque chose ! cria le chauffeur en pleine crise de nerfs.

C'était à n'y rien comprendre, ne voulait-il pas leur faire du mal juste avant ? Ils n'eurent pas le temps de réfléchir, quelques secondes les séparaient du choc.

Brume agrippa Novak et lança à Herman et Paul tout près :

– Accrochez-vous à moi !

Ils obéirent et elle les entoura d'une bulle de verre, la plus belle qu'elle ait jamais réussie.

– Liam ! Protège ta sœur et le chauffeur ! cria-t-elle sans perdre sa concentration.

Millie saisit la manche du conducteur mais son regard apeuré ne regardait que les roches. Liam leva ses mains et une décharge d'échos explosa les vitres. Il visa le mur de pierre plusieurs fois. Alors le bus passa entre les gravats et atterrit dans le champ. Le choc fatal avait été évité mais le bus continuait de glisser sur la couche de neige en direction d'un précipice.

– Il faut s'extraire de là ! cria Millie en essuyant un filet de sang sur sa tempe blessée par les éclats de verre.

– L'époclade, l'époclade ! cria Paul en pleurant dans la bulle, les yeux fermés.

– Non, c'est dangereux ! cria Millie à son frère. Les échos, ensemble ! Brume, ne perce pas la bulle de verre !

– Je tiens bon ! répliqua-t-elle en serrant les dents.

Elle lâcha le chauffeur qui plongea sous le fauteuil et tendit le bras jusqu'à son frère, mais le bus se renversa sur le côté. Millie sauta dans un effort désespéré et ses mains touchèrent la peau de Liam.

Une décharge d'échos incroyables se déversa. Liam les dirigea vers la terre et parvint à ralentir le bus et à dévier sa trajectoire. Sa sœur ressentit la même puissance et se servit des échos pour accumuler la neige sur le sol et freiner le bus.

Il s'immobilisa enfin au milieu du champ, à une dizaine de mètres du ravin.

Ils reprenaient à peine leurs esprits que forces de l'ordre et pompiers arrivèrent sirènes hurlantes en haut de la côte, talonnés par les journalistes qu'il fallait canaliser.

Trop occuper à vérifier leurs ecchymoses, ils ne virent pas le conducteur qui filait à travers champ et disparut au moment où les secours les atteignirent.

– Les enfants ! Vous allez bien ? Il reste du monde dans le bus ?

Une troupe de policiers et d'ambulanciers arrivaient avec des couvertures. Une autre partie empêcha les journalistes de descendre.

– Je ne trouve pas le chauffeur ! dit l'un des officiers en faisant le tour.

– Il a essayé de nous tuer ! cria Liam. Vite, il vient de s'enfuir !

– Contactez la compagnie de transport pour donner son signalement !

C'était la confusion. Il fallait recueillir les témoignages mais d'abord les mettre en sécurité et faire des examens à l'hôpital. Une policière s'étonna du trou dans le mur et de l'état relativement propre du bus retourné.

Brume chuchota à l'oreille de Millie :

– J'ai fouillé dans la poche de la veste du conducteur avant de sortir du bus. Il y avait une note.

– Laquelle ?

– Une date : 7 juin, quinze heures.




Gemini PoppyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant