VII. Éclairer ma lanterne (2/3) - réécrit

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 Monsieur Heurtebise les invita à prendre chacun un verre dans l'armoire de la remise et faire la queue au lavabo.

– Bien, posez-les devant vous et trempez votre index. Essayez de vous concentrer sur la surface de l'eau tout en ayant conscience des battements de votre cœur qui propulse votre sang jusqu'au bout de vos doigts.

La patience légendaire des gemini eurent raison d'eux. Ils se regardèrent en pouffant de rire. Seul Liam, hypnotisé par le souvenir de la piscine, restait concentré. Monsieur Heurtebise et Millie reportèrent leur attention sur lui.

– C'est ça, sois confiant, Liam.

Pourtant, l'eau restait quasi immobile. Les autres tentèrent de reprendre l'exercice. Les secondes s'écoulaient, puis les minutes. Paul fit voler le silence en éclat :

– Regardez !

Au-dessus de son verre, l'eau flottait comme un nuage, ses volutes capturant les rayons du soleil couchant. Émilien, par réflexe, se recula brusquement. Millie eut à peine le temps de voir ce nuage liquide qu'il retomba en flaque sur le bureau.

– Alors là, c'est définitivement trop cool ! affirma Novak.

Monsieur Heurtebise eut bien des difficultés à mettre fin à son cours :

– Je dois m'en aller, j'ai une famille qui m'attend ! implora-t-il.

Après un dîner des plus animés, garçons et filles se séparèrent sur le palier du dortoir.

Farfouillant dans sa trousse de toilette pour ranger sa brosse à dent, Millie se figea.

– Brume, tu entends ?

– Non, répondit-elle en levant la tête de son livre.

Millie était pourtant certaine d'avoir entendu un grattement.

– Je regarde sous le lit...

– Je te préviens, si c'est une araignée, écrase-la illico ! précisa Brume.

La jeune Poppy se baissa, à bonne distance, la lumière de son smartphone dirigée sous le matelas. Brume, elle, ramena sa couverture sous le menton.

– Oh nom de ! grogna Millie.

Le volatile emblème de La Table se mit à découvert en roucoulant.

– C'est quoi ?

Brume était cachée sous sa couette.

– Le Dodo. Bon sang, il m'a fichu la trouille !

Elle ouvrit la porte pour le laisser sortir alors qu'il donnait des coups de becs impatients.

– Comment est-il arrivé là ?

Brume explosa de rire.

– Quoi ? demanda Millie.

– Un Dodo sous un lit, c'est normal.

Leur rire nerveux se propagea plus fort dans la pièce. Brume se revoyait cachée dans son lit, ce qui l'amusa encore plus.

– N'empêche, reprit-elle plus sérieusement, c'est bien un animal censé avoir disparu. J'ai vérifié.

– Alors dès que nous l'avions vu dans la cuisine commune, nous aurions dû comprendre qu'il y avait des choses extraordinaires ici.

On toqua à la porte.

– Moins de bruit ! ordonna le gardien.

Millie se fourra sous son drap.

– Quelle journée, dit-elle alors que Brume éteignait sa lampe.

– Comme tu dis !

Puis, la jeune fille, aidée par l'obscurité, osa demander :

– Tu semblais songeuse lorsque monsieur Heurtebise a demandé si nous avions senti des changements avant notre anniversaire.

Millie se demanda si Brume l'avait entendue. Elle répondit après une pause :

– Il y a un jour où j'ai senti que je n'étais pas normale. Mais j'ai préféré croire que mon imagination m'avait joué des tours.

– Qu'est-il arrivé ?

– Ma sœur venait de pousser son dernier souffle. L'infirmière a voulu s'approcher du lit mais elle n'a pas pu. Je ne voulais pas qu'elle la touche, et c'est comme si j'avais réussi à dresser un mur invisible entre nous. Ça n'a duré que quelques secondes.

– Brume, je suis...

– Tu penses que c'était un effet des échos ? coupa l'adolescente après avoir reniflé.

– Peut-être. Monsieur Heurtebise a dit qu'avant quinze ans, les dons pouvaient se manifester de manière évanescente.

SCHPLOF !

Quelque chose venait de s'écraser sur la porte. S'ensuivit des éclats de rire.

– Roh, c'est les garçons ! comprit Brume.

– Mais qu'est-ce qu'ils fabriquent ?

Elles découvrirent un sol mouillé.

– C'est Paul qui s'entraîne avec l'eau des toilettes ! se moqua Herman.

– Les essais ne sont pas concluants.

Le tumulte fit sortir quelques élèves de deuxième et troisième année.

– Les nouveaux font du zèle, dit Luc.

– Nous n'en étions pas encore là quand nous étions en première, surenchérit une autre.

– Bataille !!! fut le cri de guerre de Luc.

Il bougea ses doigts et le filet d'eau qui coulait du robinet se jeta comme un serpent sur Herman qui esquiva en criant, surpris par le potentiel du pouvoir. Les autres étaient admiratifs.

Soudain, le filet d'eau s'étendit, sembla se solidifier et s'enroula autour des gemini, en se resserrant autour d'eux jusqu'à les faire se rapprocher.

– Tu fous quoi, Luc ?

– Pourquoi on ne peut pas traverser l'eau ? surenchérit Millie.

– Mais ce n'est pas moi ! répondit-il, abasourdi.

– Fini de jouer, les gamins !

Le gardien venait de monter l'escalier. Il avait la tête de celui qu'il n'était pas bon de déranger. D'un coup d'index, il renvoya l'eau dans le conduit d'évacuation.

– Allez tous dans vos chambres !

Les gemini ne demandèrent pas leur reste.

Gemini PoppyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant