CHAPITRE VINGT

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La justice parle

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Aujourd'hui est le grand jour. Le jour où je témoigne au tribunal dans l'affaire « Tanner ».

Je crois que je réalise seulement maintenant l'étendue de ma mission et l'importance du procès en m'asseyant dans la salle remplie de monde. Ce matin, je me suis habillée avec des gestes mécaniques, enfilant une jupe de tailler, une chemise ocre et un blaser noir assorti à ma jupe. Ma gorge était si serrée que j'ai sauté le petit déjeuner pour rejoindre Scarlett à l'entrée du campus.

Le trajet en voiture jusqu'au tribunal n'a été que machinal lui aussi. Installée derrière, j'observais le paysage d'un air distrait, mon regard déviant vers les nuages dont je m'amusais à trouver la signification des formes. La paréidolie, ce phénomène qui consiste à identifier une forme familière dans un paysage, un nuage, de la fumée ou encore une tache d'encre, m'a toujours intriguée. J'y vois une pratique enfantine me rappelant mes souvenirs passés et m'évitant de penser au présent ou au futur proche.

Néanmoins, lorsque vous êtes assis au quasi premier rang dans un tribunal et que vos grands-parents que vous n'avez pas vus depuis des semaines voire des mois tirent une tête à en faire froid dans le dos à un tueur en série, vous ne pouvez plus fuir la réalité. Encore moins quand la plupart des regards sont braqués sur votre dos, dans l'attente d'une future prise de parole. Oui, j'ai beau tourner le dos aux curieux ou familles des « victimes » présentes dans la pièce, je sens leurs yeux perçants, leur curiosité malsaine sur moi, Scarlett et Andrew.

Je voudrais me tourner et leur hurler d'arrêter leur mascarade, de faire preuve d'un minimum de respect, mais toute intervention superflue de ma part fera dégénérer les choses. Parce que oui, les gens sont en colère. En colère contre mes grands-parents, en colère contre leur fortune, en colère contre leur renommée, en colère contre leurs pratiques, et donc en colère contre leur progéniture, contre tout ce qui se rapporte à eux.

Scarlett, Andrew et moi sommes ce que l'on appelle des victimes collatérales dans cette affaire. Mais nous ne sommes pas reconnus comme tels, étant là en tant que témoins en faveur de mes grands-parents.

Le début du procès, je le suis d'une oreille distraite, mon regard perdu dans le vide, les yeux ouverts sans vraiment voir ce qu'il se passe autour de moi, les oreilles débouchées sans vraiment entendre ce qu'il se dit. Je suis là sans être là. Et personne ne semble remarquer mon état second ou se préoccuper de mon attitude.

Personne sauf Scarlett lorsqu'elle se tourne vers moi pour vérifier que je ne perds pas pieds.

— Ça va ? me demande-t-elle tout bas en me jaugeant d'un air inquiet. Tu es toute blanche.

Non ça ne va pas. J'ai envie de lui crier que je ne veux pas être là, que ma plus grande envie c'est de me lever, de remonter l'allée centrale et de franchir la porte en la claquant au passage. J'ai envie de lui dire que la seule chose que je veux c'est de fuir de cette salle, d'oublier mon nom, ma famille et de retourner à Berkeley à mon cours d'histoire.

Mais je n'en fais rien, me contentant de hocher la tête sans quitter le Juge des yeux qui sonde l'assemblée d'un regard sévère qui intime le silence.

— Maman te regarde avec un air qui semble vouloir dire « Tiens-toi un peu plus droite, rentre le ventre, relève le menton et ne montre pas que cette situation t'atteint ».

Je n'ai même pas besoin de vérifier les dires de Scarlett pour être convaincue qu'elle dit vrai. Ça a toujours été comme ça dans ma famille. Nous sommes des Tanner et les Tanner gardent la tête haute. Les Tanner sont parfaits, rien ne peut les atteindre. Nous devons être parfaits en toute circonstance, ranger nos problèmes et afficher un grand sourire même lorsque l'on est prêts à se jeter du bord du précipice. Oui, parce que la règle d'or des Tanner c'est qu'ils ne tombent pas, ils sont tout en haut de la hiérarchie sociale.

DES NUITS PLUS CLAIRES QUE TOUS VOS JOURS [IS HE A BAD BOY ?]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant