Quatre ombres dans la nuit

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Quatre ombres se tenaient sur le toit des bâtiments endormis de la ville sombre. Immobiles, leurs souffles brisaient le silence de minuit. Seul l'éclat de la lune permettait de distinguer les silhouettes filiformes lors de cette nuit froide d'automne. Mais personne ne se risquait à sortir à cette heure, surtout pas à Orion. La pénombre y était plus assassine qu'ailleurs et cette nuit ne faisait pas défaut.

Les habitants avaient peur du froid, plus que jamais. Quand ce n'était pas le vent qui l'apportait, c'était une lame trempée dans le cœur. La nuit appartenait aux gants noirs des criminels, personne n'osait contester ce monopole. Les inconscients n'étaient qu'une flamme balayée par le souffle du blizzard.

Parfois des cris, des coups de feu, des crissements de pneus retentissaient mais chacun avait appris à vivre de jour et à laisser les ténèbres aux autres, à ceux, qui n'avaient pas peur du noir.

- Minuit sept, énonça une voix qui s'élevait des quatre ombres.

Un gloussement féminin y répondit. Elle claqua ses bottes sur les tuiles du toit. Deux pointes rouges percèrent tout d'un coup le voile noir de la pénombre et elles se mirent à flamboyer alors que leur propriétaire tâcha de les dissimuler sous une épaisse capuche et un loup de fer. Toutes les ombres copièrent cette précaution et elles s'abaissèrent, forçant sur leurs appuis, prêtes à bondir.

- X, tu sais ce que tu dois faire, siffla une nouvelle voix.

X gloussa de nouveau et passa une main dans son épaisse crinière noire qui s'échappait de la cape. Elle tourna son regard de flamme vers son interlocuteur qui tâcha de le soutenir.

- Je pourrais faire le boulot seule, les garçons, rétorqua-t-elle, dois-je vous rappeler que j'ai moi-même préparé ce plan ?

Un petit rire d'un de ses compagnons lui répondit, les deux autres restèrent de marbre. X était arrogante, mais elle avait de quoi. Elle était le cerveau de cette équipe, une fine stratège, et surtout la plus éveillée sur le monde qui l'entourait. Bien que la plus jeune de son équipe, elle menait d'une main de fer ce groupe qui obéissait sans un mot. Car si chacun avait un rôle dans l'équipe, celui de X était de maintenir l'ordre et la discipline dans les rangs.

- Minuit huit, lança laconiquement un de ses acolytes.

- Z s'ennuie, apprit Y.

- Z s'ennuie tout le temps, ce n'est aujourd'hui que cela va changer quelque chose, répliqua V.

Un silence contemplatif s'installa et ils écoutèrent les échos de la vie nocturne. Les oiseaux de proies survolaient la ville de leurs battements d'ailes silencieux pendant que les rongeurs couinaient en rejoignant les égouts. Quelques sons symptômatiques de la tendance criminelle d'Orion résonnèrent mais ils n'y portèrent peu d'attention. Ils ne craignaient guère les individus peu scrupuleux de la ville. Ils étaient leur cible.

- Minuit neuf.

D'un même mouvement, les quatre ombres s'élancèrent, courant sur les toits, sautant avec une souplesse extraordinaire et une vitesse époustouflante. X était en tête, V suivait. Les deux derniers n'essayaient même pas de les rattraper. Y et Z finirent par s'arrêter, s'accroupissant, alors que X, arrivant au bout du toit, sauta tête en avant, bras le long du corps, vers la fenêtre du bâtiment en face d'où on pouvait apercevoir une faible lueur. Fracassant littéralement la fenêtre, X roula sur le sol de l'appartement et se retrouva prise en joue par un fusil à pompe.

De l'autre bout du canon se trouvait un homme qui émettait une aura sombre et dont les yeux ne semblait pas avoir d'iris tant le bleu tendait vers le blanc. Renforçant sa prise sur l'arme, il ordonna à X de se relever. Mais ses doigts tremblaient et ses tressauts démentaient le manque qui lui tordait les tripes.

- Je savais que vous viendrez. Vous venez toujours. La... La Dame vous punira ! Elle ne laisse personne tuer ses enfants impunément !

Sa voix déraillait, son regard fou était instable. Pourtant il était en train d'être revigoré par la présence de X. Cela ne sera jamais assez pour lui retirer la folie qui s'était incrustée dans son âme. Mais il n'avait pas effleuré cette vitalité depuis longtemps. La présence d'un des siens, la couleur qui englobait les courbes de l'être, la reconnaissance mutuelle d'un frère, tout ceci lui avait manqué trop longtemps.

- Pitoyables comme derniers mots, n'est ce pas, X ?

V appuya le canon de son pistolet sur la tempe de l'homme. Ce dernier, pris au dépourvu, se figea et tenta de tourner la tête. X se releva et retira vivement le fusil des mains qui la menaçaient, les yeux d'un rouge sang.

- Monsieur Sylvain Frayaut, vous êtes condamnés par les Justes pour vos crimes, énonça V en maintenant la tête de l'accusé en place, à savoir : proxénétisme, viols, blanchissement d'argent, vols et contraintes physiques et morales. Vos biens seront distribués aux victimes de vos actes.

V arma le chien du pistolet et son sourire diabolique engloba son visage juvénile.

- La sentence est la mort.

La déflagration résonna dans la nuit alors que le salon de Sylvain fut repeint de son sang. Au loin, Z marmonna pour lui Minuit dix. V rangea son pistolet et embarqua le fusil que lui tendait X, quittant déjà la scène de crime.

X s'attarda devant le cadavre de l'homme. Il était méconnaissable. Elle se retourna et vit que la partie de la pièce qui n'était pas recouvert du sang de son propriétaire était griffonnée de toute part. Elle s'approcha et caressa le creux qu'avait causé la lame qui marquait ces messages. C'étaient toujours les mêmes. Inlassable, il avait inscrit au couteau les mêmes comme un appel.

Que la Dame me vienne en aide.

X jeta un regard au corps sans vie derrière elle. Il avait évoqué la Dame dans ses derniers mots.

- X ?

Y se trouvait à la fenêtre de l'appartement et lança une plume noire sur le cadavre de Sylvain. Il tourna son regard sur la femme et elle reprit ses esprits en le rejoignant. Ils quittèrent les lieux avec la même rapidité expéditive.

Ils n'avaient pas rendu visite à tout le monde cette nuit. Au loin, résonnait la sirène de police, mais quand ils arriveront sur les crimes, les Justes auront déjà assassinés leur deuxième victime.

X eut néanmoins une pensée pour Sylvain, le petit matin en s'endormant.

La Dame lui est-elle venue en aide ?

Le Chant Du CygneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant