1. Perdus

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- Où... Où est ce que je suis?

L'obscurité totale et absolue. C'est ce qui caractérise son environnement immédiat. Son regard se porte à gauche, à droite, impossible de voir quoi que ce soit.

- Que... Qu'est ce que c'est... que ce bordel?

Il remue son corps, du moins il essaye. Il ignore depuis combien de temps il est plongé dans l'obscurité. Ce qui est sûr, c'est qu'il est là depuis suffisamment longtemps pour que son corps engourdi refuse de répondre à ses injonctions, qu'elles soient nerveuses ou vocales:

- Allez, alleeeeeeez, bouge, bordel!...

Ça revient, petit à petit. Il retrouve un semblant de motricité. Le bout de ses doigts semble se libérer, comme s'ils brisaient des chaînes. Le reste de son corps n'a pas l'intention d'obéir. Il a si peu de sensations qu'il ne sait pas s'il est allongé, debout, en apesanteur ou au sol. Il est privé de tous ses sens à part l'ouïe, et peu à peu la panique s'empare de lui:

- Pourquoi? Pourquoi je suis là?

- Parce que. Voila. Ça te va? Arrête de te plaindre maintenant.

La voix grave qui vient de lui répondre lui est totalement inconnue. Mais elle est son seul espoir. Il veut comprendre:

- Qu...? Quoi? Parce que quoi? On est où?

Une troisième voix, plus feutrée, résonne:

- Quelqu'un peut lui dire de se taire?

- Nan, nan je vais pas me taire! Il se passe quoi ici?

La voix feutrée soupire:

- Bon écoute, tout ce que je sais, c'est qu'on atterrit tous ici quand on se fait avoir. Sauf que "ici", je ne sais pas où c'est. Par moment ça secoue. D'autres fois, ça tangue. Le plus souvent, comme maintenant, c'est calme et silencieux. Enfin, quand je dis "silencieux", c'était  avant que tu n'arrives. C'est bon? Tu vois où je veux en venir?

Un moment de silence s'installe. Un silence tellement sourd qu'il a l'impression que l'obscurité cherche à s'introduire dans son esprit par ses oreilles. Il ne tient plus:

- Je me rappelle de rien... Vous êtes qui?

- Oh mais c'est pas vrai, arrachez-lui sa foutue langue, qu'on puisse...

Une vibration intense vient perturber l'équilibre des occupants de l'obscurité.

- On... On freine? On dirait qu'on freine...

- Ça s'est aussi produit juste avant que tu arrives, dit la voix grave. Donc si ça se trouve, on va avoir droit à un nouveau copain... Ah sérieux... J'espère que le prochain sera moins bav...

La voix s'interrompt. Il n'y a plus un bruit. La voix feutrée l'interpelle:

- Euh... T'es là?... Hé ho?

Pas de réponse. Le premier s'inquiète:

- Il... Il a... Il est où?

La voix feutrée panique:

- Écoute, je ne sais déjà pas où je suis en ce moment. Et toi tu me demandes où est parti l'autre? Tu te fous de ma gu...

Plus rien. La voix feutrée vient de disparaitre elle aussi, sans un bruit, comme emportée par les ténèbres. L'obscurité semble soudainement plus intense encore. Il décide de bouger, cette fois-ci, l'essai est concluant. Il parvient à bouger son bras droit, et porte sa patte à son visage. Il touche le bout de son nez sans même s'en apercevoir. Sa main, pourtant si proche de ses yeux, est imperceptible. Il ne voit rien. Il essaye de bouger le reste de son corps. Tout semble en place. Ses pattes arrières répondent enfin, sa queue aussi. Un détail le choque cependant: dans quel position est-il? Il a retrouvé ses sensations, sa mobilité, mais il ne sais rien de ce qui l'entoure. Il est parfaitement libre de ses mouvements, il n'y a pas de mur autour de lui, pas de barreau, pas de sol, pas de plafond. Seulement du vide plein d'obscurité dans lequel il flotte.

Une étrange sensation s'empare de lui. Il est comme aspiré. C'est violent, mais agréable, et rassurant de ressentir quelque chose à nouveau. Il se laisse aller, et veut fermer les yeux pour profiter de cette sensation, apaisante, qui l'emporte doucement. Puis le choc. Violent, il vient d'atterrir sur le ventre, il a le souffle coupé, et la gorge nouée, il a l'impression de suffoquer. Il se calme progressivement, et se rend compte petit à petit que tout va bien. Il sent la chaleur l'envahir, une chaleur douce et bienveillante. Où est ce qu'il a atterrit? Est ce qu'il est au paradis? Est ce qu'il est mort? Après tout, il s'est retrouvé ici après avoir livré bataille, il a perdu, mais il s'est bien battu, en tout cas mieux que le Dominant humain à qui il a docilement servi de monture. Il se redresse courageusement sur ses quatre pattes, et secoue la tête pour reprendre ses esprits, le temps que son regard s'habitue à la lumière puissante qui inonde l'endroit. Il distingue peu à peu la pièce; de grands murs en or, gravé de dessins. Des dessins de scarabées, de grands personnages avec des têtes d'animaux, et d'autres à l'allure ordinaire portant des offrandes aux premiers. La pièce est tout simplement immense. Le plafond est loin au dessus de lui, et le sol est en or. Ses oreilles entendent une voix masculine qui parle lentement, qui semble lointaine, à tel point qu'elle résonne dans sa tête comme de l'écho, mais c'est uniquement parce que son ouïe n'est pas encore totalement fonctionnelle. Il ne distingue pas les mots prononcés. Mais il entend distinctement la voix grave qui l'a accompagnée jusque là et qui est juste à côté de lui:

- Vous... Vous êtes sûr que c'est ce que vous voulez? Nous, on ne ne veut pas de problème...

La voix feutrée est également là, tremblante:

- On va devoir... se battre pour vous?... Mais contre qui exactement?

Le Gardien des Chats : La Lune de SangOù les histoires vivent. Découvrez maintenant