DOUZE

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En m'affalant sur mon lit, après mon retour à la maison, j'ai le sourire aux lèvres. Ça faisait longtemps que je n'avait pas autant rit. Et puis Gaby est vraiment quelqu'un de sympathique. Il fait partie de ces personnes avec qui vous aimeriez tout le temps être, parce que avec elles, vous avez l'impression qu'être heureux est plus facile.
J'entends un craquement venir du palier et renverse ma tête en arrière, au bord du lit.
Éden est adossée au cadre de ma porte encore ouverte.
— C'était bien ta petite sortie ? demande-t-elle gentiment.
Si je n'avais pas été d'aussi bonne humeur, je lui aurait probablement répliqué que ce ne sont pas ses affaires. Mais étant donné la dose élevée de bonheur en moi à l'instant présent, je suis incapable de répondre sèchement à qui que ce soit.
— Oui, c'était sympa.
— C'est ton copain ? continue-t-elle avec un petit sourire en coin.
— Non.
Je me redresse et m'assoit de sorte à lui faire face. Elle sourit et s'en va dans sa chambre.
Je joue au piano quelques minutes, puis me couche. Mais je suis incapable de m'endormir. Je ne peux m'empêcher de voir le visage de Gaby, avec en fond le soleil couchant.

Le lundi matin, Michael passe me prendre en voiture.
— Salut! lance-t-il quand je m'assois sur le siège.
— ¡Holà Francisco!
Il me lance un regard noir.
— Pitié ne m'appelle pas comme ça.
Je lui lance un grand sourire insolent et m'adosse au siège avec un soupir de satisfaction.
— Au fait, je vais au Mexique pendant les grandes vacances, comme tous les ans d'ailleurs. Je me demandais si ça te tentait de venir avec moi, commence-t-il tandis que nous quittons le quartier.
Je lui lance un regard en coin.
— Je vais en parler à ma mère.
— J'aimerai vraiment y aller avec toi, Aza.
Je ne réponds pas: mon esprit semble être loin de cette voiture. Il me lance un bref regard et rejette d'un mouvement de tête sa mèche noire qui lui tombe devant les yeux.
— Qu'est-ce-qu'il t'arrive? Tu as l'air... pimpante. Enfin, je ne veux pas dire que d'habitude tu ne l'es pas, mais tu l'es particulièrement aujourd'hui.
Je souris et ferme les yeux, aveuglée par le soleil.
— Oh rien. C'est ce beau temps certainement.
— Mh. C'est ça oui. Le beau temps.
Je ris sans vraiment de raisons particulières et secoue la tête. À vrai, je suis comme ça depuis ma sortie avec Gaby. Même maman m'a fait remarqué hier que j'avais l'air idiot à sourire tout le temps comme je le faisais.
Quand nous sortons de la voiture, je trouve Tessa, Jordan, Emily, James et Gaby près de la Twingo orange. En voilà une belle brochette. James et Gaby font tout deux un pas vers moi.
— Salut Aza! Comment ça va ? me crie presque James.
— Bien merci, je réponds un peu sèchement.
Gaby, se contente de me sourire, ce qui me convient bien. Michael vient se poster à côté de moi. Il a les sourcils froncés et je semble être la seule à remarquer l'électricité qui flotte entre Gaby et lui.
Heureusement, la sonnerie retentit et nous nous dirigeons vers nos salles de classes respectives.
Emily vient se poster à ma droite et me glisse à l'oreille:
— Tu as parlé à Gaby depuis sa soirée d'anniversaire ?
Je lui lance un regard interrogateur, feignant de ne pas comprendre pourquoi elle me pose la question.
— Je ne suis pas dupe chérie. Tu es sortie de la voiture et son visage s'est illuminé. Et puis il t'a lancé un sourire... Woaw. Aucun de mes copains ne m'a jamais sourit comme ça.
Et pourtant ils sont nombreux.
— Nous avons un petit peu discuter ce week-end. Mais rien de plus, dis-je, tentant d'être convaincante.
Il faut dire que le mensonge n'est pas ma spécialité.
— Prend moi pour un jambon. En tout cas je ne suis pas la seule à avoir remarquer que Gaby te tourne autour...
Elle désigne l'autre côté du couloir où Michael passe justement.
J'hausse les épaules et nous entrons en salle de cours. De toute manière je n'ai rien à justifier. Je ne sors ni avec Gaby, ni avec Michael.

Comme d'habitude, la journée est passée à une allure désespérante, et je suis soulagée quand Emily et moi nous affalons sur le canapé, après les cours.
Nous allumons Netflix et regardons une énième fois une de ces comédies piteuses, mais qui nous feront rire éternellement.
Éden débarque dans le salon et s'installe doucement dans le fauteuil. Emily attrape la télécommande et met pose.
— Sans vouloir être impolie, « salut », dit Emily d'un ton sarcastique.
— Oui, pardon, salut, répond ma sœur, un peu gênée.
Le regard d'Emily alterne entre Éden et moi, scrutant nos similitudes, nos différences. Puis soudain elle remet le film en route et nous restons silencieuses jusqu'à la fin tandis qu'Eden lâche un petit rire de temps à autre.
Une fois le film terminé, je raccompagne Emily à sa voiture.
— Vous vous ressemblez tant. C'est troublant... me dit-elle.
— Nous sommes jumelles Emily.
— Oui je sais. Mais j'avais oublié que vous vous ressembliez à ce point.
Je ris en levant les yeux au ciel, et claque la portière de mon amie.
Éden m'attend près de la porte.
— Aza ?
Je lui lance un regard interrogateur, feignant l'exaspération.
— Est-ce que ça te dérange si je joue du violon quelques minutes ? Ça fait une semaine que je n'ai pas pu travailler...
— Oui oui évidement. Tu n'as pas besoin de demander. « Tu es ici chez toi ». C'est ce que maman t'as dit non? ajoutais-je méchamment.
Elle baisse les yeux et ne répond pas.
Je monte dans ma chambre et ferme la porte avant d'aller à mon piano.
J'entends Éden monter à son tour quelques minutes après. Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai l'impression qu'elle monte lentement. Je l'entend faire une pause en haut de l'escalier, puis à nouveau à hauteur de ma porte. Sauf que cette fois j'entends sa respiration saccadée. J'hésite un instant à sortir voir si tout va bien, mais la porte de sa chambre claque au même moment.
Je replace mes mains au dessus du piano, mais Eden commence à jouer. Un magnifique morceau de John Williams, un de mes préférés, résonne doucement dans la maison. Cela me donne des frissons et pendant un instant je suis comme paralysée. Puis, la gorge serrée, je commence à jouer moi aussi. Nos deux instruments se mêlent pour ne faire plus qu'un. Pour la première fois de ma vie, je crois comprendre ce qu'est cette union que les jumeaux sont censés ressentir. Elle me paraît soudain atteignable. Tandis que mes doigts courent sur le clavier, il me semble entrevoir la possibilité de faire table rase du passé. De recommencer les choses à zéro. D'oublier le mal que papa et Eden nous ont fait.
Le morceau s'achève et je me lève, comme poussée par une force intérieure. Des larmes coulent malgré moi sur mes joues. J'ouvre la porte de ma chambre et fait un pas en avant, la main à quelques centimètres de la poignée de porte d'Eden.
Tu as juste à ouvrir cette porte et à oublier le passé.
Mais cette porte semble être ce passé si douloureux, si difficile à oublier.
Et pour l'instant je n'ai pas la force de pousser cette porte.
Alors je reste debout dans le couloir sombre, les yeux embués, le cœur serré.

THESE ARE THE DAYS OF OUR LIVES Où les histoires vivent. Découvrez maintenant