QUATRE

27 4 8
                                    

  Maman est tellement tendue depuis la lettre d'Eden qu'on pourrait presque faire sécher notre linge sur elle. (Ce n'est probablement pas la meilleure métaphore que j'ai faite, mais c'est tout ce que mes Pensées ont réussi à faire). Je crois qu'elle a peur d'accepter. Ou peut être qu'elle hésite. Certes, Éden a été affreuse envers nous, mais elle reste sa fille qu'elle n'a pas vu pendant 10 ans.
Éden.
Cela faisait des mois que je n'avais pas penser sérieusement à elle. J'ai beau me dire qu'elle ne fait plus partie de ma vie depuis longtemps, je n'arrive pas à me l'ôter de la tête.
C'est notre jumelle. Oui mais elle m'a trahie. Elle nous a trahi maman et moi. D'accord mais on peut lui pardonner peut être. Certainement pas. Aza. Non. Impossible. Je ne peux pas. Si tu peux. NON.
Ok Ok c'est bon.
Je débat avec moi même sans cesse. Je me demande si elle veut réellement renouer avec nous où si elle a un autre but précis.
  Tessa et Emily relance la discussion, tandis que nous préparons un exposé en anglais.
  — Sérieux Aza, on sait que tu la détestes mais tu pourrais peut être essayer... me dit Tessa.
  — Mais oui chérie. C'est ta jumelle quand même, renchérit Emily.
  — Je sais. Mais à chaque fois que j'envisage de lui reparler, je repense aux jours qui ont suivis son départ. Ma mère était effondrée. J'avais 6 ans. Et je n'avais pas ma jumelle pour affronter cette épreuve. On était pas proches mais on était complices et là l'une pour l'autre. Elle a brisé ça.
J'ai dit tout ça d'une traite. Un silence suit. Mes deux amies me regarde avec un petit air triste que je déteste.
  — Parlons d'autre chose. Ça vaut mieux, ajoutais je.
Tessa sourit et se lève. Elle ouvre en grand ma penderie pose ses mains sur mes hanches.
  — Trouvons toi une tenue pour samedi prochain. On a exactement 7 jours et 5h pour te préparer à la première vraie soirée de ta vie.
  — Mais je n'irai pas.
  — Si si si. Tu n'as pas le choix.
  — Pourquoi c'est si important ? soupirais je.
  — Sort un peu de ton train train quotidien Aza. Tu vas finir folle ! s'exclame Emily.
Je bloque quelque instants sur sa remarque. J'hausse les épaules.
  — Après tout pourquoi pas...
Dévier un peu mes Pensées d'Éden et "sortir de mon train train quotidien" ne me feront probablement pas de mal.
Emily se lève et va taper dans la main de Tessa.
  — Mission "Aza" accomplie ! s'exclament elles en cœur.
Je secoue la tête en riant face à mes deux amies, et une fois de plus, je me dis que ma vie est fantastique.

  Quelques heures plus tard, je ressors de Forever 21, avec des habits tout neufs.
  — Sérieusement les filles je vous aime bien, mais je ne mettrai probablement jamais ce que vous m'avez fait acheter, dis je en guise de prévention.
  — Chérie. Ces habits te vont comme un gant ! Les garçons vont tous tomber pour toi. C'est certain, insiste Emily en déverrouillant sa voiture.
  — Et puis tu ne vas pas venir en soirée avec un de tes innombrables jeans et pulls oversized qui emplissent ton armoire, ajoute Tessa.
  — Mes pulls sont très bien, je réplique.
  — Tu es la seule fille qui n'a aucune jupe, robe, combinaison ou talon dans son armoire, renchérit Emily tandis que nous nous installons dans sa voiture.
Elle met la clé sur le contact, allume la radio et du Beyonce se met à résonner à fond dans la voiture.
  — Tu n'aurais pas du Queen plutôt ? demandais je en lui lançant un regard dans le rétroviseur intérieur.
  — Oh non chérie. On va faire de toi une nouvelle Aza: comme l'ancienne - déjà presque parfaite bien sûr - mais en mieux. Ça commence par les habits, l'abolition de l'écoute de King...
  — QUEEN. S'il te plaît, la coupais je.
  — C'est pareil. Maintenant, direction Sephora.
Je ferme les yeux et secoue la tête.
  — Pitié pas ça...
  — Oh que si ! dit Tessa.

  À peine rentrée chez moi,  je jette mes sachets dans un coin et m'affale sur mon lit. J'adore mes amies, mais elles sont éreintantes à haute dose. Je travaille un peu pour l'école, prépare mes cours pour le lendemain et me décide finalement à vider mes sacs. J'en sors une robe et une combinaison, quelques accessoires de maquillage, ainsi qu'une paire de chaussures à talon - selon Emily - modérément hauts. J'observe mes petites acquisitions et rit en me disant que je me suis fait manipuler par mes amies. Finalement je remet le tout de côté dans mon armoire, et décide d'aller me coucher, mais je ne suis pas du tout fatiguée. Peut être que je ne veux juste pas atténuer la joie que je ressens depuis cet après midi détendu. Je jette un coup d'œil par la fenêtre. Le soleil commence sa descente derrière les maisons de ma rue. Je mets mes baskets et sort dans la douceur de ce soir de mai.
  J'arpente ma rue avec la démarche d'une âme en peine, mais le sourire aux lèvres. J'emprunte une ruelle que je n'ai pas pris depuis des années et arrive au parc du quartier. Des personnes âgées marchent ici et là, les runners font leur jogging tardif, des parents marchent avec leurs enfants pour finir le week end en beauté.
La scène a quelque chose de magique.
Les arbres en fleurs forment comme une arche au dessus du chemin, à travers laquelle filtrent les rayons oranges du soleil.
Me laissant guider par mes pas, je suis un des sentiers et arrive dans un coin moins fréquenté du parc. À vrai dire, à cette heure ci, pas du tout.
J'arrive à un vieux terrain de jeu. Il est dans l'ombre d'un grand chêne. Je passe le portillon condamné et m'avance lentement vers la balançoire grinçante. Soudain je comprends ce qui me turlupine: un souvenir me reviens.
Je passe le portillon du parc et cours vers la balançoire toute neuve, rouge laqué. Je commence à me balancer en secouant les jambes, tandis qu'à côté de moi, Éden s'accroche comme un singe au trapèze, et en deux temps trois mouvement, elle se retrouve suspendue par les genoux, la tête en bas. Plus, loin, sur le banc. Papa et maman nous regardent, enlacés, le sourire aux lèvres.
Je regarde le banc. Il y manque une planche.
Je tourne la tête. Plus de trapèze.
Plus de papa. Plus d'Eden.

THESE ARE THE DAYS OF OUR LIVES Où les histoires vivent. Découvrez maintenant