DEUX

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  Quand j'arrive au lycée, Emily m'attend, comme à son habitude, devant sa voiture.
  — Emily. Tu es de nouveau sur le parking des profs.
  — Et est-ce que quelqu'un me fera une remarque quelconque? Non.
Je secoue la tête avec un air désespéré et m'adosse à la voiture près de mon amie, occupée à se vernir les ongles en bleu nuit.
Je parcours la cour du regard, guettant la moindre activité anormale.
C'est aussi ça, avoir une vie monotone comme la mienne. On voit les choses tellement souvent que si le moindre détail change, on le remarque immédiatement. En guettant les personnes entrant dans la cours, je repère Clay. Il a l'air abattu. Il me ferait presque de la peine.
  — Clay a l'air triste, annonçais je.
  — En quoi ça m'intéresse? réplique Emily avec un ton hautain.
  — Peut être parce que c'est votre rupture qui le rend triste.
  — Et qu'est-ce que tu en sais?
  — Et bien tout simplement parce que ça m'étonnerai qu'il soit triste parce que son cône de glace vanille est tombé pendant notre sortie scolaire au CM1, dis je en riant.
  — Ok. Et bien moi je me suis très bien remise de notre séparation alors il va gentiment faire la même chose, rétorque Emily en agitant ses doigts.
  — Moi je suis sure que ça t'affecte plus que tu ne le dis.
La sonnerie retentit a ce moment là, et nous nous dirigeons vers notre salle de cours. Emily conserve son air hautain et ne daigne même pas adresser un regard à son ex quand il passe près nous. Je me tourne vers lui et hausse les épaules, comme pour m'excuser. En réponse il m'adresse un vague sourire. Le pauvre me fait de la peine. Et puis, connaissant Emily, leur rupture a dû être assez brutale. Quelque chose du genre: « Désolée Clay, tu es cool. Mais non. Ça va pas le faire ». Je ris en imaginant mon amie, et m'attire un haussement de sourcil de sa part.
Les heures de cours passent à la même vitesse que les autres jours. Longues. Souvent inintéressantes. C'est généralement pendant ces cours longs et fastidieux que je me pose des questions sur tout et n'importe quoi, que mes Pensées se bousculent. Si bien qu'en arrivant à la cantine, je suis silencieuse. Mon cours d'économie juste avant le repas s'est transformé en débat philosophique avec moi même, partant de la question: « Avoir une vie monotone, est ce réellement une vie ? ». Finalement j'en arrive à la même conclusion qu'à chaque fois que je me pose la question : cela dépend du sens qu'on donne au mot « vie ». Et comme je n'en ai pas de définition précise, je n'ai pas de réponse à ma question.
— Ouhouh! Michael appelle Aza.
Une main s'agite soudain devant mes yeux, me sortant de mes Pensées.
— Tu es avec nous ? me demande mon ami.
Je réponds d'un signe affirmatif et regarde mes quelques amis discuter vivement tout en mangeant les haricots sans goûts qui emplissent nos assiettes.  
  — Est ce que vous allez à la fête de Gaby la semaine prochaine ? demande Tessa, assise à côté de moi.
  — Évidemment ! Entrer dans sa maison c'est entrer dans un palace ! Ça va être fou ! s'exclame Emily avec son enthousiasme habituel.
Michael et Jordan répondent aussi par l'affirmative.
  — J'ai pas vraiment le choix, Lydie y va, ajoute Jordan.
  — Tu as l'air heureux avec ta copine dis donc, dis je avec ironie.
Quatre regards se tournent soudainement vers moi.
  — J'ai dit quelque chose de mal ? demandais je riant.
  — Tu as dit quelque chose tout court. On ne t'entend jamais Aza alors quand tu prends la parole on écoute, explique Tessa.
Je secoue la tête en levant les yeux au ciel, tandis que les autres rient.
La discussion reprend et dérive sur le devoir d'algorithmique qui arrive dans quelques jours. Tessa me met un coup de coude.
  — Et toi ? Tu viens samedi prochain ? A la fête.
  — Euh. Non. Ce n'est pas dans mes projets, dis je en entamant mon éclair au chocolat.
  — Allez viens ! On a jamais réussi à te faire venir à une fête.
  — Je sais pas. Je dois voir à cause de ma sœur, inventais je.
  — Ta sœur ?
  — Oui. Elle revient de chez mon père pour quelques jours.
  — Mh. Tu serais pas en train d'inventer une excuse quand même ?
  — Pas du tout.
Elle secoue la tête à son tour et je sourie avec un air insolant. Ce genre de soirée ou la musique est à fond, ou l'alcool coule à flot, ou les gens se déhanchent, c'est pas du tout mon genre. Je préfère de loin être chez moi à écouter du Queen, à jouer du piano et autre activité de personne lambda.

En rentrant chez moi, je m'affale sur le canapé, un verre de lait en main, et fait défiler les chaînes de la télé distraitement. Mes yeux dérivent sans cesse vers la photo posée sous la télé. C'est un cliché qui de ma mère et moi datant d'il y'a une dizaine d'année. J'ai l'impression que ma vie est exactement la même qu'au moment où cette photo a été prise. Et pendant un instant ça m'angoisse: jusqu'à quand ma vie sera-t-elle aussi ennuyeuse ?
C'est ridicule. Ma vie est parfaite, je m'en vantais encore auprès d'Emily pas plus tard qu'hier.
Je clos cette discussion avec moi même en me disant que la vie nous réserve parfois des surprises.

THESE ARE THE DAYS OF OUR LIVES Où les histoires vivent. Découvrez maintenant