TROIS

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  Le lundi matin est toujours le pire, c'est bien connu. Pourtant, je ne vois aucune différence avec le mardi matin, ou le jeudi matin. Le lycée, le soleil, les amis: rien est différent.
Je me lève et, comme à mon habitude, allume de la musique sur mon téléphone. "Don't stop me now" résonne à fond dans ma chambre. Cette chanson a le pouvoir de donner de l'énergie. J'en suis persuadée. C'est donc en esquissant quelques pas de danse que je descend déjeuner. Je retrouve maman assise devant son bol de céréales. Voyant son air grave, je coupe la musique.
— Tiens, lis ça.
Elle me tend une feuille où sont inscrites quelques misérables lignes dans une écriture que je reconnais immédiatement, malgré les années.
«Salut maman, salut Aza.
Je voulais vous dire qu'ici tout va bien.
Oh mais on en doute pas.
Je voulais aussi vous dire que vous me manquer.
On y croit tous.
Et je pense que nous devrions nous organiser quelque chose toute les trois, une fois, pour fêter nos 18 ans, à Aza et moi.
Désolée Éden, mais ça sera sans moi.
A vrai dire, j'aimerai beaucoup vous voir. Je serai à Minneapolis pour visiter une université et si vous le voulez bien, je passerai à la maison.
Je vous embrasse. Éden.»
Foutaises.
Papa vient simplement de la laisser tomber comme il l'a fait avec maman a l'époque. Et maintenant elle revient vers nous. C'est lamentable.
Maman reviens de la salle de bain et m'interroge du regard.
— Tu fais ce que tu veux et je comprendrai très bien que tu veuilles la voir: c'est ta fille. Mais moi je ne veux rien avoir à faire avec elle, dis je.
— D'accord, merci.
J'embrasse maman, prend mon sac et saute sur mon vélo.
Je retrouve Émily à son endroit habituel, plongée dans son téléphone.
— Salut.
— Salut chérie ! Tu as l'air préoccupée, ça va ?
Je lui raconte brièvement l'histoire de la lettre.
— Mais je ne veux pas la voir. Elle ne fait plus partie de ma vie, finis je.
— C'est ta jumelle quand même, répond Émily.
— Et alors ? Ça ne l'a pas empêché de partir avec mon père, et de refuser de nous voir, ma mère et moi pendant toute ces années, je m'exclame.
— Donc c'est bien ce que je pensais. Ta sœur ne vient pas et donc rien de t'empêche de venir à cette fête, dit Tessa en s'incrustant dans la conversation.
— Bien vu, dis je avec énervement.
— Je me disais bien que toi et Éden ne vous êtes jamais vraiment bien entendues. Ça m'étonnait un peu.
Je soupire d'agacement et nous allons en cours.

Tout ça me retourne en tête toute la journée. En arrivant à la maison, je ne tiens plus et fouille le bureau de maman à la recherche d'un numéro de téléphone. Éden est partie. Elle a choisi son camp. Maintenant elle se débrouille.
Ça décroche à la première sonnerie.
       ? : Allô ?
  Moi : Je suis bien chez les Roberts ?
       ? : Oui ? Vous êtes ?
Une voix féminine. Rien ne peux m'indiquer que c'est Éden. J'ai beau n'avoir jamais été proche de ma jumelle, l'idée de lui parler peut être pour la première fois depuis dix ans me serre la gorge.
  Moi: Aza Roberts.
Silence au bout du fil.
     ? : Ne quittez pas.
J'entends un cliquetis qui me fait penser que la personne à poser le téléphone.
Quelques secondes plus tard j'entends quelqu'un prendre le téléphone. Et le silence.
  Moi : Écoute Éden, tu viens si tu veux. Maman est d'accord. Mais moi je ne veux pas te voir. Tu nous a lâchées pour aller avec papa. Tu m'as laissé seule avec maman qui était déprimée. Et on s'en est bien sorties. Sans toi. Donc j'estime que je n'ai pas plus besoin de toi maintenant qu'à l'époque.
Eden : Aza...
  Moi : Pas la peine de réfléchir à un discours. Tu ne t'es pas non plus donné cette peine quand tu nous a hurler que tu ne voulais pas nous voir.
Éden : J'avais 10 ans! J'étais mal, j'étais en colère contre tout.
  Moi : Pauvre de toi ! Ta vie de gosse de riche a dû être compliquée hein !
Je hurle presque dans le téléphone. Ma colère semble vouloir s'échapper par chaque parcelle de mon corps.
Éden : Aza, ça n'a aucun rapport... Je....
  Moi : Honnêtement, je m'en fou Éden. Je m'en fou. Préviens maman quand tu viens. Pour que je puisse anticiper. C'est tout. Cordialement.
Et je raccroche.

  Je tourne encore et encore sur ma chaise. Je n'ai pas parlé à Éden depuis 10 ans. Et je l'appelle pour lui crier dessus. Est ce que je suis une fille horrible ? Oui.
J'ai beau me répéter que je la déteste, qu'elle ne fait plus partie de ma vie depuis longtemps, qu'elle a été odieuse et égoïste, je m'en veux d'avoir été si violente.
J'appelle Emily en FaceTime et en quelques secondes, son visage et ses cheveux blonds apparaissent dans le cadre. Je lui raconte rapidement mon échange quelques peu houleux avec ma sœur. Elle hoche doucement la tête.
— Laisse lui sa chance de se racheter, chérie. Elle se rend peut être compte, maintenant qu'elle est grande, que vous manquez à sa vie, dit elle.
— Après 10 ans elle se rend compte que sa mère et sa sœur - jumelle qui plus est - lui manquent ? Sérieusement Emily.
— Ohlala Aza. Tu me parles de ta sœur jumelle. Je n'arrive même pas a m'imaginer qu'elle existe.
— Emily. Elle n'existe pas plus pour moi que pour toi.
— C'est triste quand même. Laisse lui sa chance.
— Je dois y réfléchir...
— Oui. Bonne idée. En attendant je te laisse. L'arithmétique m'appelle. Bonne nuit !
Elle raccroche avant que je puisse répondre.

Lui laisser une chance...
Parfois la vie nous réserve des surprises.
Mais il faut savoir les provoquer...

THESE ARE THE DAYS OF OUR LIVES Où les histoires vivent. Découvrez maintenant