VINGT DEUX

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  Éden n'est pas ressortie de sa chambre, dans laquelle tout est silencieux depuis que la porte s'est fermée, ce matin.
Maman rentre en milieu d'après midi et me prend dans ses bras.
— Qui va à Harvard l'an prochain ?s'écrit-elle avant même de me dire bonjour. C'est ma chériiiiiie !
Je ris, malgré le fait que je sois à moitié étouffé dans ses bras.
— Je n'y suis pas encore acceptée maman.
Elle s'écarte toujours me tenant par les épaules.
— Mon bébé part dans le Massachusetts ! dit-elle avec émotion, ignorant totalement ma remarque.
Elle essuie la larme qui coule sur sa joue d'un geste théâtral et va au réfrigérateur.
— Il faut trinquer !
Elle brandit le champagne qu'elle avait acheté en vu de l'événement et pose trois verres sur la table.
— Et Eden ? Elle l'a eu ? Elle ne m'a même pas envoyé un message.
— Elle l'a eu oui. Mais elle n'avait pas l'air très heureuse. Pourtant elle m'avait dit qu'elle ne pensait pas l'avoir. Que de toute manière ce n'était pas important pour elle.
— Bizarre. Où est- elle d'ailleurs ?
— Dans sa chambre. Et ce depuis qu'elle a consulté les résultats. Elle n'en est même pas sortie pour manger...
Je marque une pause et soupire.
— J'ai l'impression qu'elle cache quelque chose.
Ma mère approuve d'un signe de tête, tout en essayant d'ouvrir la bouteille de champagne.
— Attends, je vais t'aider.
Je m'approche, et, bien sûr, le bouchon choisi ce moment là pour sauter, s'écrasant avec force sur mon bras gauche.
Je pousse un cri de douleur avant d'éclater de rire devant le regard mi-amusé mi- fautif de ma mère.
— Oh la la. Désolée ma chérie. Tu veux de l'arnica ?
Sa question relance mon fou rire.
— Maman c'est bon! C'est un bouchon de champagne !
Cette fois elle rit avec moi et nous finissons par trinquer.
— À Harvard ! lance maman.
— Disons ça oui.
Nos verres s'entrechoquent dans un cliquetis de cristal.

Plus tard, je me prépare tranquillement pour le bal de promotion. Même si l'idée m'a traversé l'esprit, je ne propose pas Éden de venir, certaine de son refus.
Emily débarque en trombe dans ma chambre, alors que je suis en sous-vêtements.
— Euh re-bonjour Emily.
Cette fois elle rayonne de mille feux: bien moulée dans sa robe en sequins, perchée sur ses talons, ses cheveux blonds étoffés par des rajouts, qui cascadent jusque dans le bas de son dos et du fard à paupière dorée sur les yeux; elle ressemble à une star d'Hollywood.
— Je viens t'aider à te préparer.
— Euh, Emily. Je comptais juste mettre un short et un t-shirt, je réplique en riant doucement.
— AZA ! PROFITE DE TA VIE. LÂCHE TOI UN PEU.
Je prends un air effrayé et lève les mains en signe d'abandon. Elle s'est levé du mauvais pied, ce n'est même pas la peine d'essayer de la contredire.
Je m'assois sur le lit et lui montre mon armoire.
— C'est gentil d'être passé à l'improviste ne tout cas, je lui lance pendant qu'elle fouille mon armoire.
— Mh.
Je ris et lève les yeux au ciel. Emily se redresse en marmonnant quelque chose d'incompréhensible et cherche un sachet qu'elle a posé près de ma porte en arrivant. Elle me le tend avec un « Enfile ça » sec et va s'assoir sur le tabouret de mon piano.
Je jette un coup d'œil dans le sachet et découvre plusieurs articles neufs.
— Emily. C'est quoi ça ?
Elle lève les yeux vers moi avec un air las et se replonge dans son téléphone.
— Autant que l'héritage considérable que ma grand mère m'a légué serve à quelque chose.Faire plaisir à ma meilleure amie en est une.
— C'est très gentil, mais il ne fallait pas.
Je sors les articles un à un sur mon lit et contemple le tout avec une pointe d'émotion. Ce ne sont que des habits simples mais élégants, tout à fait dans mon style. Même si son style est à l'opposé du mien, ma meilleure amie a fait de très bon choix.
J'enfile le tout et observe le rendu devant le miroir.
— WoW, dit Emily.
Le pantalon large couleur crème pend sur les sandales à talons rouges. Emily se lève pour m'attacher le collier qui vient pendre dans le petit décolleté de mon haut - un débardeur noir moulant.
Je m'attache les cheveux en queue de cheval que Emily s'emploie à tresser pendant que j'applique le rouge à lèvre rouge qu'Emily avait ajouter dans le sachet.
Une fois prête, je serre Emily dans mes bras. Je n'arrive pas à m'imaginer séparée d'elle à la rentrée. On se fréquente presque tous les jours depuis quinze ans !
Après ce moment émotion, nous montons en voiture et nous rendons au lycée, où se déroulera la fête.
 
  Notre bande nous attend devant le gymnase - Emily et moi nous faisons constamment attendre, oui.
Tout le monde est habillé avec classe. Les garçons sont pour la plupart en costume, pour certains noirs, classiques, pour d'autre à motif, ou assorti d'une cravate colorée ou d'un noeud papillon. Les filles portent pour beaucoup des robes, plus extravagantes les unes que les autres, des talons aiguilles à la hauteur vertigineuse, et des maquillages colorés visible à trois cent mètres.
Mais la personne qui retient immédiatement mon attention est Michael.
Il porte un costume noir, cintré, qui souligne à merveille sa carrure puissante. Il porte son polo blanc fétiche, ouvert jusqu'au deuxième bouton, dévoilant le haut de son torse. Je relève le regard vers son visage. Il porte son habituelle barbe de trois jour qui accentue ses mâchoires anguleuses. Ses cheveux sont coiffés en arrière, dégageant ainsi son visage et son regard, ses magnifiques yeux vert émeraude qui se détachent sur sa peau hâlée.
Il surprend mon regard qui le détaille et je détourne les yeux.
Prise sur le fait. 
Je le vois me détailler du coin de l'œil. Je vois aussi Emily nous regarder alternativement, comme elle suivrait un match de tennis. À l'instar d'Emily, Tessa aussi nous regarde avec un sourire en coin. Gaby aussi...
Je le vois pincer les lèvres et croiser les bras. Il est aussi très élégant dans son costume bleu nuit assorti à une chemise blanche et une cravate à petits pois.
Je reporte mon attention à Michael qui a fait un pas vers moi.
Emily pousse James et Tessa vers l'entrée du gymnase, suivie par Gaby qui s'éloigne la tête basse et les mains dans les poches. Lydie et Jordan les suivent en gloussant et en nous regardant du coin de l'œil.
  — Tu es splendide. Simple, naturelle. Tout toi.
Michael ponctue ses mots d'un sourire charmeur. Il replace une de mes mèches rebelles derrière mon oreille et descend sa main dans ma nuque.
  — Merci, toi aussi tu es très élégant. Ça te va à ravir.
Il sourit avec malice, éveillant en moi des papillons déchaînés.
  — Je ne sais pas pourquoi je ne t'ai pas demandé avant, mais est-ce que tu veux bien être ma cavalière pour cette soirée ?
Il se gratte la nuque et détourne le regard. La timidité a toujours fait partie de lui.
  — Avec plaisir.
Il me présente son coude autour duquel j'enroule mon bras.
Nous entrons dans le gymnase où il fait déjà une chaleur insoutenable. Les élèves sont déjà nombreux debout sur la piste de danse, plus à discuter qu'à danser.
Nous rejoignons notre petite bande à une table et Jordan se propose pour chercher à boire et à manger. Michael décide de l'accompagner.
Sitôt nos deux amis hors de vue, Tessa, Emily et Lydie se penchent vers moi, suspendues à mes lèvres.
  — Alors ? dit Emily, avide de potins.
  — Il t'a embrassé ou quoi ? demande Tessa sans détour.
  — Oh mon Dieu, vous allez tellement bien ensemble ! s'exclame Lydie, toujours d'humeur romantique.
Je ris et jette un coup d'œil à Gaby, assis à l'opposé de nous, qui feint l'indifférence.
  — Calmez vous. Il ne se passe rien, dis-je.
Elles affichent toutes trois une mine déçue.
  — Pas encore... j'ajoute à voix basse avec une pointe de mystère.
Mes amies se regardent avec un regard étonné - il faut dire qu'habituellement je n'aurais jamais dit quelque chose comme ça - et gloussent.
Les garçons reviennent quelques instant après.
  — Michael! Met toi là. Je vais m'assoir avec James là bas, dit Emily en me lançant un sourire satisfait.
Je me tape le front : c'est Emily tout craché.
Michael s'assoit et me regarde avec un air interrogateur. Je lui réponds qu'on haussement d'épaule qui signifie « c'est Emily, ne cherche pas à comprendre ».
Tandis que la discussion autour de nos souvenirs de lycée s'engage, je m'adosse à ma chaise et regarde tous mes amis. Et dire que tout ça est finit maintenant...
Michael attrape ma main sous la table et je ne peux m'empêcher de sourire.

  Plus tard, mes amies et moi décidons d'aller danser - la vérité étant qu'elles m'ont forcée pour que je les accompagne.
Les garçons restent à table à débattre à propos de la meilleure équipe de football.
  — Bon alors, c'est pour bientôt ? me lance Emily en criant pour couvrir la musique et les discussions autour.
Je comprends tout de suite à quoi elle fait allusion et répond d'un sourire qui reflète clairement mon avis : « je crois bien ».
  — J'ai hâte de voir ça ! Aza en couple. Les deux mots aussi proches, ça sonne bizarre.
Je met un coup de coude à ma meilleure amie et ris. Après tout, c'est vrai que c'est tout nouveau pour moi. D'être amoureuse.

  Après quelques minutes sur la piste, à s'égosiller à chanter des chansons de l'époque de la primaire, nous retournons à la table, mais il n'y a personne. À vrai dire, beaucoup de gens ne sont plus là.
  — C'est bizarre non ? Il n'est que vingt et une heure, dit Tessa en consultant sa montre.
Nous regardons autour de nous et repérons une foule de gens qui essaye de sortir de la salle. Intriguées, nous suivons la masse.
Le mauvais pressentiment qui s'immisce en moi se voit renforcé quand je remarque que les élèves s'écartent sur notre passage.
J'accélère le pas et tout en traversant la foule qui chuchote de toute part, certains lançant des cris, des exclamations, j'entends des voix.
  — Tu penses vraiment pouvoir rendre Aza heureuse ? Tu t'es vu ?
  — Et toi ? Tu ne la connais même pas.
Quand j'arrive au bout de la foule, je me retrouve dans un cercle formé par les élèves.
Et au milieu de celui-ci, à quelques mètres devant moi, en train de se battre, Gaby et Michael.

THESE ARE THE DAYS OF OUR LIVES Où les histoires vivent. Découvrez maintenant