VINGT TROIS

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  — J'arrive pas à le croire.
Ma voix est dure, cassante.
  — Aza...
Je stoppe Michael d'un geste de la main. Je ne veux même pas entendre sa version. Ils risqueraient de recommencer à se battre.
Pour moi.
Pour m'obtenir, comme si j'étais le prix d'une loterie.
Cela va sans dire que cet incident me fait voir les choses différemment.
Je me sens terriblement déçue par Michael.
Je les regarde tous les deux, adossées à la vitre de l'infirmerie.
  — J'arrive pas à le croire... je marmonne une fois de plus.
Gaby est affalé sur sa chaise, le côté gauche du visage bleu et le sourcil encore en sang. Sa chemise est couverte de terre et déchirée.
Michael est appuyé sur ses genoux. Il tient un mouchoir sous son nez qui ne cesse de saigner depuis que Gaby lui a asséné un coup de poing, juste avant l'intervention du directeur qui les a séparés. Sa veste est elle aussi déchirée, ses cheveux ébouriffés et sa bouche tuméfiée.
Ils me regardent tous les deux quand je recommence à marmonner.
  — Non mais je rêve. Une bagarre.
Ils détournent les yeux, aussi honteux l'un que l'autre.
Je vais à la porte et me tourne une dernière fois vers eux avant de sortir.
  — Inutile de me chercher. Quand je serai calmée, je vous ferai - peut être - signe.
Ils prennent tous deux un air penaud et je sors.
Emily et Tessa m'attendent devant l'infirmerie depuis que j'y suis entrée.
  — Alors ça, je ne m'y attendais pas, commence Tessa.
  — Moi non plus.
  — Ils se sont battus pour toi. Soit flattée... dit Emily en haussant les épaules.
  — JE NE SUIS PAS UN MORCEAU DE VIANDE.
Je m'éloigne au pas de course et vais m'assoir sous un chêne, dans le parc qui entoure le lycée. Il y a quelques groupes de fumeurs, des gens qui discutent à voix basse, loin du vacarme qui parvient du gymnase. Il y a aussi des couples, occupés à s'embrasser.
Je repense au visage tuméfié de Michael et sens une grimace d'amertume sur mon visage.
Étrangement, sans trop l'être, je vois les choses bien différemment maintenant. Jusque tout à l'heure, je n'avais aucun doute sur le fait que Michael est quelqu'un de génial. Mais maintenant...
Il s'est battu par amour
Peut être.
Ce n'est peut être pas lui qui a commencé, mais Gaby. Il était jaloux et ça se voyait.
Probablement. Il n'empêche que Michael est entré dans son jeu.
Je suis interrompue dans le fil de mes pensées par Lydie, qui vient s'assoir à côté de moi.
  — Je les aime beaucoup, hein. Mais ça... c'était pathétique.
Je ris amèrement et acquiesce.
  — On peut faire les choses par amour, mais aucun des deux n'avaient de raisons valables de se battre.
Voyant que je n'intervient pas, Lydie laisse sa nature bavarde prendre le dessus.
  — Gaby était jaloux. OK, certes. Mais était ce une raison pour attaquer Michael au corps à corps, sachant que ça ne changerai rien à sa relation avec toi.
Elle marque une pause.
  — Et puis Michael : pourquoi est-il entré dans le jeu de Gaby? Il savait très bien que tu as des sentiments pour lui, que Gaby n'y changeait rien !
Elle marque une pause et soupire.
  — Enfin. Qu'est ce que tu vas faire ? me demande-t-elle.
Lydie, que je ne connais que parce qu'elle est la petite amie de Jordan, n'a jamais été une de mes amies proches comme Emily ou Tessa, pourtant je me rends compte qu'elle aussi va me manquer.
Je soupire à mon tour et renverse la tête en arrière, contre le tronc.
J'essaye de me vider la tête, de me concentrer sur la brise de fin de soirée.
  — Je ne sais pas... c'est compliqué.
Lydie hoche la tête. Et croise les jambes.
  — Tu sais, quand j'ai remarqué Jordan, la première fois, il m'a tout de suite... attirée je dirais. On a parlé, on a appris à se connaître, mais plusieurs choses me faisait douter du fait que j'avais envie de me lancer dans une relation. Bref. Un jour, j'ai senti que ça devenait sérieusement ambigüe. Je me suis dit qu'il fallait que je me décide. D'une part il y avait la Raison dans ma tête, qui me soufflait que les deux ans d'âge qui nous séparent, nos différences de caractère, seraient un obstacle à notre relation. D'autre part, il y avait mon Cœur qui me disait de foncer.
Elle sourit et pose une main sur les miennes.
  — Je suis plus jeune que toi Aza, mais j'ai appris une chose: dans la vie, il faut savoir entre écouter son cœur ou écouter la raison. Même si parfois c'est dur.
Je la remercie d'un sourire et elle se lève.
  — Le Cœur...
Elle pointe sa poitrine de l'index.
  — Ou la raison ?
Elle s'éloigne, me laissant méditer ses propos.
Le Cœur ou la raison ?
Le risque ou le raisonnable ?
Je ferme les yeux et me vide l'esprit.
Je vois le regard de Michael, au feu de camp. Je sens sa main sur ma nuque. Les papillons dans mon ventre s'éveillent, confirmant ce que mes Pensées tentent de me dire depuis le début.
Tout est clair pourtant. C'est magnétique entre Michael et toi.
Je souris et chuchote pour moi-même:
  — Le cœur l'emporte.

  Quelques minutes plus tard, après m'être excuser auprès d'Emily, nous nous retrouvons toutes deux sur la piste de danse, insouciantes malgré les regards et les chuchotements à notre égard.
Je lui raconte ce que m'a expliqué Lydie, lui fait part de ma décision qu'elle approuve.
Nous allons nous assoir et sirotons un coca en silence.
  — Et toi avec James ? je demande.
  — On est sur un nuage. Tout est parfait. C'est vrai qu'aux premiers abords, il peut paraître superficiel, mais la vérité est qu'il est très attentionné.
  — Génial, je suis contente pour toi !
  Je lui réponds tout en sortant mon téléphone de mon sac pour consulter l'heure et remarque cinq appels manqués de maman. Je fronce les sourcils.
  — Qu'est-ce-qu'il se passe ? me demande ma meilleure amie.
  — Aucune idée. Ma mère a essayé de m'appeler cinq fois.
Je me lève et m'empresse de sortir au calme pour téléphoner, suivie de près par Emily.
Je rappelle maman et à chaque sonnerie, l'angoisse resserre un peu plus ma gorge. C'est la soirée des mauvais pressentiments ma parole...
  — « Aza ! »
  — « Maman ? Qu'est-ce-quoi se passe ? »
J'entends des pleurs au bout du fil et ma gorge se serre.
  — « Maman ! Réponds moi je t'en supplie ! »
  — « Oh Aza ! »
Elle gémit avec désespoir, me faisant frémir. Je n'ose plus parler, effrayée par ce qui va suivre.
  — « C'est Éden »
Je déglutis avec difficulté. Je repense à son état ce matin, quand je suis revenus du lycée. 
  — « Maman. Qu'est-ce-qu'il se passe avec Éden ? »
Ses pleurs redoublent, et je sens quelque chose se briser en moi. Quand je me rends compte que je ne suis pas prête à entendre ce que je vais entendre, maman annonce entre deux sanglots:
  — « Elle est au bout Aza. Au bout. C'est fini. »

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