" Tu peux m'appeler Tom, Val."
J'arrivais devant lui, je savais qu'il était impoli de fixer un étranger comme je le faisais mais mes yeux ne m'obéissaient plus. Il était debout devant sa voiture et lui par contre, me regardait sans se gêner. Je ne voulais pas faire attention à sa grande mâchoire carrée, ni à ses cheveux bruns soigneusement coiffés dans une vague bien sculptée. Alors que mon regard accrochait le sien, il fut comme hypnotisé par le profond de ses yeux verts, il me fut alors impossible de baisser les miens. Mon interlocuteur me sourit, exhibant des dents parfaitement blanches et droites, j'en fus jalouse un instant, un instant seulement, avant qu'il ne baisse les yeux et que je redevienne moi-même. Une fois le contact de nos regards rompu, je passais la seconde et rentrais chez moi en courant presque. La porte de mon entrée refermée, je m'y adossais me demandant encore ce qu'il s'était passé puis fut prise par un désir incontrôlable de regarder ce garçon à nouveau. Il s'était installé au volant de sa voiture et la faisait doucement avancer dans son allée. Si j'étais rentrée une minute plus tard nous ne nous serions jamais vus.
" À te voilà Nounoune. ( Le surnom que m'avait attribué mon père lorsqu'il était de bonne humeur m'agaçait au plus au point.) Tu as vu, on a de nouveaux voisins.
- Oui papa, j'ai vu.
- Enfin quand je dis nouveaux... Il étaient du coin, ils sont partis il y a huit ans. Tu es allée à l'école primaire avec leur fils, il est du même âge que toi.
- Il a pas mon âge, il a le permis de conduire.
- Je t'assure que si, il nous l'a confirmé lui même quand ils sont venus se présenter. Ils ont l'air d'être gentils ces gens."
Il repartit ensuite par où il était venu et je regagnais ma chambre. Sans y prêter attention, je jetais un nouveau coup d'œil par ma fenêtre en direction de ces presque nouveaux voisins mais tout était désert. Je m'allongeais donc sur mon lit et dis à Sarah et Manon que j'étais rentrée, aucune ne répondit alors je me mis à faire ce que je faisais habituellement, je pris un cahier et me mis à réviser. Contrairement à l'ordinaire, je ne réussissais pas à me concentrer, je regardais par la fenêtre, depuis mon bureau, dès que je voyais quelque chose bouger et le nouvel arrivant de ma rue avait du mal à quitter mes pensées. Ainsi, je serais allée avec lui à l'école primaire, je n'arrivais pas à me souvenir ni d'un Thomas, ni d'un Tom quelconque. J'avais beau me dire que dans le fond j'en avais rien à foutre, que ma vie était suffisamment compliquée avec mes trois amies, il ne cessait de réapparaître, Tom, Thomas, Tom, Thomas...
" Ah pis merde !"
J'envoyais bouler le cahier sur le bureau, ouvrit mon armoire en pin et me mit à fouiller la dernière étagère, celle réservée aux papiers divers, pour trouver les photos de classes datant de cette époque. Je les trouvais rapidement et regagnais mon lit, non sans lâcher un regard par la fenêtre, pour les examiner en étant à l'aise. Il n'y avait rien sur celle de la dernière année, CM1 et mes deux années de CE2 non plus, me replonger dans cette époque n'était pas un bon souvenir, regarder attentivement chacune des têtes sur ses photos, me rappeler ce qu'ils ont fait ou dit, '' Val la vache '' revenait le plus souvent. Je balançais cette photo ainsi que tous ceux qui y apparaissaient, les maudissant au bord des larmes, je pris une profonde inspiration pour me ressaisir et ouvris la suivante. Là, mon souffle se coupa, Tom était devant moi, Bien plus jeune certes, mais je reconnus tout de suite la forme rectangulaire de son visage et ses dents blanches, puis ce fut au tour de son hypnotisant regard vert. Il se tenait bien droit, j'aurai même dit qu'il se tenait sur la pointe des pieds pour ne pas paraître trop petit comparé à la personne qui se trouvait à côté de lui, cette personne étant la plus grande et grosse de la classe, de l'école même peut-être. Je la trouvais moche et détestable, posée là, servant à rien, je jetais un dernier regard sur ma jeune personne en me disant que j'aurais peut-être mieux fait de finir avalée et une question horrible concernant ma mère me vint à l'esprit.
