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Dès l'instant où Kim Seokjin, vingt-huit ans, ouvrit un œil, il sut que cette journée serait merdique.

C'était une impression étrange, presque magique et pourtant qui s'avérait presque toujours exact.

Il y avait des matins comme ça où rien n'allait et où tout foirait. Des matins abominables qu'il fallait supporter en attendant qu'une meilleure journée se profile le lendemain. Comme un prisonnier condamné à traîner son boulet toute la journée sans pouvoir ni revenir en arrière, ni accélérer le temps.

Jin l'avait pressenti dès que son réveil avait sonné et qu'il avait ouvert un œil dans la pénombre, seulement éclairée par la vibration incessante de son smartphone qui avait chuté de la table de chevet sur la moquette molletonneuse. Il était resté là, les yeux grands ouverts comme spectateur d'un désastre pressenti et dont il ne pouvait rien faire.

Sur le ventre, emmitouflé dans sa couette épaisse et chaude, la tête dans l'oreiller, un pied sortant du matelas, il n'avait pas besoin de bouger ni de déplier son bras gauche, calé sous son corps, pour sentir que la place à côté de la sienne était froide.

Il referma les yeux quand le réveil, cette abominable création des enfers, lui laissa un moment de répit avant de recommencer furieusement, le son semblant cracher des minuscules enceintes de l'appareil.

Jin consentit à faire glisser son corps de sorte à attraper l'appareil et à l'éteindre. Ainsi perché à deux doigts de tomber du matelas, il mit un certain temps à se relever et quitter la chaleur rassurante de la couette.

Il bâilla en sortant de la chambre, marchant tel un automate jusqu'à la salle de bain où il entreprit une rapide toilette ainsi que son ultime mission matinale : remettre de l'ordre dans ses cheveux sombres, en pagaille.

Mais parce que c'était une journée sous le signe de la malchance, un affreux épi resta suspendu au-dessus de son crâne telle une antenne cherchant à capter les ondes. Malgré l'eau, le gel, rien n'y fit et Jin se contenta d'y coincer une barrette à chignon en se disant, naïvement, que l'affreux épi serait suffisamment plié durant son petit déjeuner et qu'ainsi il ne se rebellerait plus quand il quittera l'appartement.

Enfin ça, c'était ce qu'il croyait.

Une fois dans la cuisine, il activa la cafetière bruyante, par automatisme, les yeux dans le vague puis s'attabla à la grande table haute, d'un blanc immaculé. Il mangea sans grand enthousiasme ses céréales, tel un ruminant regardant passer les trains, mais à la différence près que lui, faisait défiler les notifications sur l'écran de son smartphone.

Enfin, l'horloge du four en lettres rouges, lui rappela avec horreur qu'il était en retard et il sembla, enfin, sortir de sa léthargie. Il courut se laver les dents, oubliant littéralement la pince coincée dans ses cheveux, enfila les premiers vêtements qui lui tombèrent sous la main puis son manteau, ses chaussures, attrapa son téléphone et dévala l'escalier de son immeuble.

Quatre étages plus bas il avisa du coin de l'œil, en bout de rue, le bus arriver et se lança dans un sprint, une véritable course contre la montre, pour arriver in extrémis à l'arrêt de bus avant de constater avec horreur, que ce n'était pas le bon véhicule.

Il souffla, jurant intérieurement et jeta son dévolu, en respirant fort, vers le panneau des horaires. Il avait loupé le sien, deux minutes plus tôt. Il fallait à présent attendre quatorze minutes. Dépité, il se laissa tomber sur le banc en métal froid et ressortit son téléphone.

Quarante-sept minutes plus tard, il passait les portes automatiques de sa compagnie, un petit immeuble coincé entre deux gros buildings rutilants, avant de tâtonner ses poches à la recherche de sa carte magnétique.

La RuptureOù les histoires vivent. Découvrez maintenant