La nuit était d'un bleu sombre, mais pas aussi noir que celui des nuits d'hiver. Des milliers d'étoiles emplissaient le ciel, et trois des neuf lunes étaient levées ; deux autres étaient absente et les quatre dernières ne tarderaient pas à suivre. Le Palais Elémentaire, immense, se dressait entre ce ciel féerique et les dizaines de silhouettes qui se découpaient discrètement sur les buissons des jardins du Palais.
Une de ces silhouettes regarda autour d'elle, puis fit signe à trois autres de s'approcher. Une quatrième revint de l'intérieur du Palais, et dit :
- J'ai prévenu les prisonniers que nous allions les libérer. L'autre groupe a assommé les gardes et est reparti, comme prévu.
- Très bien, répondit la première silhouette, qui avait une voix grave. Alors, allons-y.
Les cinq silhouettes se dirigèrent vers l'entrée de la prison, et, une fois à l'intérieur, prirent le trousseau de clés et entreprirent d'ouvrir toutes les cellules sous les regards silencieux des Sang-Mêlés et Elfe Rayés emprisonnés.
- Nous allons tous sortir de la prison, mais il vous faudra être discrets. Nous vous ferons sortir cinq par cinq. C'est compris ? chuchota la première silhouette.
Les prisonniers hochèrent la tête et se mirent en file les uns derrière les autres. Une des silhouettes fit signe au cinq premiers de partir avec elle, et les prisonniers obtempérèrent. Cinq minutes plus tard, une seconde silhouette fit signe aux prisonniers suivants et le manège se répéta ainsi jusqu'à ce que tous les prisonniers soient libérés. La silhouette à la voix grave referma soigneusement toutes les cellules, remit les clés à la ceinture du geôlier, que l'on reconnaissait à la paire de menottes qui était accrochée à sa ceinture et sortit.
L'aube se levait quand tous les anciens Défenseurs, accompagné des détenus, eurent rejoint le camp des insurgés. Celui-ci s'était organisé dans la nuit, et les anciens Défenseurs n'ayant pas participé à l'attaque avaient fini de bâtir tentes et abris. Des marmites remplies de soupe et des écuelles furent mises à disposition des arrivants, et des miches de pains furent distribuées. Leur réserve de vivres n'était pas très grande pour une troupe de cette taille, et la place manquait également. Deyan, Keltt, Arnn et Ellania le savaient bien, et avaient annoncé dès que tous furent rassasiés qu'il leur fallait quitter la ville.
- Mais comment allons-nous faire ? cria un des insurgés. Ils doivent bien se douter que nous voulons quitter la ville !
- Nous allons passer un par un par les différentes portes de la ville, répondit Ellania. Tout cela en espérant que les gardes soient peu attentifs et peu nombreux.
- Mais nous allons nous faire arrêter tous ! gémit une Sang-Mêlée assez âgée.
- Si l'un d'entre nous est arrêté, il ne sera pas abandonné par les autres, et nous serons les derniers à passer pour assurer vos arrières.
- Mais êtes-vous seulement capable de le faire ?
- Deiann en est tout à fait capable, répliqua sèchement Keltt. Arnn est l'un des meilleurs Enseignants, et pareil pour Ellania. Quant à moi, si vous voulez prendre ma place, je vous en prie, allez-y.
Personne ne se proposa.
- Bien. Voilà qui est réglé, conclut Arnn. Nous partirons dès aujourd'hui pour ceux qui le veulent.
Certains voulurent partir immédiatement, et les jeune gens décidèrent de faire passer d'abord les plus faibles puis les plus forts, sans distinction d'âge ou de sexe. C'est ainsi qu'au milieu de la matinée, une troupe d'une dizaine d'insurgés accompagnaient une dizaine d'anciens détenus souhaitant quitter Mennta. Ils passèrent chacun à leur tour, à intervalles irréguliers pour que la garde, si elle voyait les anciens détenus, ne se doutent de rien.
Ce premier groupe passa facilement sous les défenses des gardes, pourtant deux fois plus nombreux qu'à l'habitude : il y en avait quatre à la porte Septentrionale, qu'ils avaient fait emprunter au premier groupe. A la porte Occidentale, qui était située non loin des quartiers pauvres de la ville et de leur campement, les gardes étaient plus nombreux, mais on réussit à faire passer par là un deuxième groupe de dix personnes.
La journée se passa tranquillement, sans qu'aucun des insurgés ne se fasse prendre alors qu'ils sortaient de la ville. Cela inquiétait Deiann et Ellania, car les gardes ne pouvaient pas avoir vu aucun des Sang-Mêlés ou Elfes Rayés de la centaine de personnes passées dans la journée. Ils devaient avoir compris que c'était les plus faibles qu'ils avaient fait passer durant la journée.
Soulagée d'un cinquième de ses habitants temporaires, le campement était soudainement moins bondé que la veille, et les provisions suffisaient largement. Cependant, on rationna la troupe de la même manière que la veille, de peur qu'elles ne suffisent quand même pas ; De plus, une partie des provisions était revenue à ceux qui s'étaient enfuis de Mennta dans la journée. Ils s'endormirent donc le ventre tiraillé par la faim.
La Souveraine Tulann avait eu vent de cette affaire par les Défenseurs encore loyaux, et était rentrée dans une rage d'un noir profond. Elle décida alors de faire ce qu'elle n'avait voulu faire plus tôt, c'est-à-dire commander un génocide. Oh, certains Sang-Mêlé survivraient peut-être, mais elle allait envoyer une missive en Arkenn afin que les Nains pourchassent eux aussi les Sangs-Mêlés, pour ceux qui passeraient par le septentrion. Ils chercheraient certainement à s'enfuir par là, par l'Aetak, mer intérieure qui divisait le continent en deux, ou par la passe Australe, mais elle les exterminerais tous jusqu'au dernier.
Le lendemain, les insurgés étaient à peine réveillés qu'ils entendirent des cris à travers le quartier : les Défenseurs et la garde de Mennta avait décidé d'entreprendre des fouilles. Les insurgés levèrent rapidement la camp, démontant les couvertures, emballant les provisions et ustensiles qu'ils possédaient le plus vite possible, et bientôt, la grande demeure en ruine qui leur servait de campement depuis trois jours seulement fut désert.
Chacun se sépara de l'autre, et tous se cachèrent là où ils purent, sur les toits, dans des sous-sols et avec l'aide des pauvres gens du quartier qui soutenaient leur cause.
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Histoire des Elfes - la Dynastie Noire
FantasyUne Souveraine. Un peuple. Une décision. Et la mort.