Chapitre 2: Sophie

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-La caste des songeurs est donc, selon les préceptes du Grand Sage Edmond Salomon, la première à avoir vu le jour. L'ordre des mages nous a constitué ainsi. Il lui fallait tout d'abord des yeux pour voir, il créa donc les songeurs, des êtres capables de lire l'avenir au travers de leurs rêves. Il lui fallait ensuite la science pour comprendre, c'est ainsi qu'est née la caste des sages, les mages les plus érudits, dont la mémoire est infinie. L'ordre estima pourtant que le savoir et l'anticipation n'étaient d'aucune utilité, sans le pouvoir d'agir. Ainsi sont nés les confectionneurs, qui de leur agilité légendaire étaient capables de concocter toutes sortes de potions à l'aide d'ingrédients mystiques. Cependant, le pouvoir dépendait de la nature et se limitait à ce qu'elle était prête à offrir, ou non. Dépendre d'elle était un risque que l'Ordre ne voulait pas courir. Il créa alors les chuchoteurs. Des êtres indépendants, qui de leur simple voix, pouvait invoquer le pouvoir et le manier. Durant des siècles, ces quatre castes ont ainsi cohabité dans la paix. Mais même si elles se voulaient à l'origine égales, leurs pouvoirs, eux, ne l'étaient pas. Les quatre pouvoirs devaient se compléter. Les songeurs éclairaient les sages. Les sages détenant la science, enseignaient leurs formules aux confectionneurs. Les confectionneurs donnaient vie aux sortilèges. Mais les chuchoteurs, eux, n'avaient ni besoin de connaître l'avenir, ni d'intérêt à détenir le savoir, pas plus que l'art manuel des concoctions. Ils étaient uniques. Indépendants. Ils pouvaient agir seuls. Et de ce fait, devenaient beaucoup trop imprévisibles. L'ordre prit donc une dernière décision quelques siècles plus tard. Il créa une espèce rare, les catalyseurs,ceux que l'on appelle aujourd'hui : Les Senssaïr. Dénués de vision, de savoir, d'agilité et de pouvoir, ils étaient en tout point mortels. A la seule différence, qu'une magie les habitait. Celle de catalyser les pouvoirs de ceux qui en abusaient. Le Senssaïr servait de justicier. Il pouvait soustraire les pouvoirs d'un mage, les réduire mais aussi les contrôler. Ainsi, un chuchoteur avec de mauvaises intentions, pouvait se voir déposséder de ses pouvoirs.

Mon auditoire était captivé. Les enfants et adolescents participant à mon cour clandestin ne tenaient pas en place. Chaque main était levée et impatiente. La science passionnait toujours. Quelque soit la caste à laquelle nous appartenions. Mais le cour arrivait à son terme. L'horloge qui égrainait les secondes dans le fond de l'arrière salle annonçait bientôt 18h00. Le soleil n'allait pas tarder à se coucher.

-Lauren ? Donnai-je la parole.

-Mais...Sophie, qu'en est-il des catalyseurs aujourd'hui ? Beaucoup disent qu'ils sont une espèce disparue ! Cela fait des décennies que nous n'en avons plus entendu parler !

Lauren était une élève que j'affectionnai particulièrement. Vive, curieuse et pertinente, elle aurait fait une tutrice formidable d'ici quelques années, si l'académie des mages n'avait pas fermé ses portes il y a maintenant huit ans.

C'était pour cette raison que j'offrais des cours, en secret, dans l'arrière salle de la bibliothèque de Moonstone avec la complicité de Miss Sulivan, une sage de plus de quatre vingts ans, la propriétaire des lieux. L'ordre avait décrété plus sûr de suspendre l'éducation des jeunes mages, alors que le maléfice contre les chuchoteurs prenait peu à peu de l'ampleur. Il fallait faire profil bas, le temps de trouver la solution.

J'étais en troisième année et avais tout juste 12 ans, lorsque l'école avait été condamnée. Pour une sage, il n'y avait pas pire châtiment que d'être privée d'éducation. Nous nous nourrissions de savoir, là était notre leitmotiv, notre raison de vivre. J'étais la plus studieuse, la plus impliquée de ma promotion et dès ce jour, je m'étais fais la promesse de poursuivre mon enseignement coûte que coûte. Alors la bibliothèque magique de la ville était devenue comme une seconde maison. Évidemment, au fur et à mesure de mes allées et venues, je n'avais pas ignoré les ouvrages qui peu à peu disparaissaient. Les étagères se faisaient vides et les quelques manuscrits encore saufs n'apprenaient rien de plus que ce que nous savions déjà.

Le Cercle de MoonstoneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant