Le Cercle de Moonstone

Chapitre 20: Partie 2: Sophie

Une fois sortie de la voiture, l'air glacial de la forêt me fit frissonner. A chaque expiration, une fumée blanche s'échappait d'entre mes lèvres et plus nous nous rapprochions du marais, plus l'odeur devenait insupportable.

-Surtout, tu ne t'éloignes pas de nous. C'est bien d'accord ? Murmurais-je au catalyseur. Les âmes s'amusent à tourmenter nos esprits dans le but de les faire siens. Tu n'as rien à craindre, elles n'auront aucun impact sur toi. N'oublies pas, tu es une Senssaïr et la magie ne fonctionne pas sur toi.

Pour toute réponse, elle hocha la tête et son visage prit tout à coup un masque froid et concentré.

Les quelques mètres à franchir pour atteindre le marais semblaient interminables. Chaque craquement de branche nous faisait sursauter et le vent soufflait si fort qu'il semblait nous hurler de fuir. Mais nous ne le fîmes pas, aussi inconsciente était cette escapade. Le sol se fit tout à coup plus malléable. La terre devint vaseuse, aspirant la semelle de nos chaussures, rendant nos pas plus gauches. L'odeur se fit si intense que je du plonger le nez dans mon écharpe parfumée. La forêt s'effaçait enfin et devant nos yeux ébahis s'étalait l'immense marais sinueux. La lune l'embrasait de son éclat, révélant les nuances glauques de ses eaux sombres. D'étroits chemins de terre tissaient leur toile au milieu des flots, nous obligeant à marcher en file indienne pour les emprunter et atteindre enfin le centre, là où la magie opérait. C'est ce que nous fîmes. Prenant la tête de la marche, je traversai le premier sentier, le seul qui, sur la carte que j'avais analysée quelques heures plus tôt, menait au cœur du marais. Alexie me suivait de près. Les eaux formaient des bulles à la surface, qui, lorsqu'elles éclataient, libéraient une fumée nauséabonde. Madeleine et Hadriès ne se disputaient plus. La moindre seconde d'inattention, et nous risquions de finir engloutis par les eaux bouillantes. Nous marchions en funambule, un pied devant l'autre, priant pour que le vent ne souffle pas plus fort, pour ne pas basculer. Nous ne devions surtout pas dévier de trajectoire. Tantôt à gauche, puis à droite, de nouveaux sentiers étroits se révélaient, comme pour nous inciter à les prendre. Mais je connaissais leurs destinations, et il n' y en avait aucune, si ce n'était celle de nous mener en bateau.

Plus nous avancions et plus la magie semblait crépiter dans l'air. Son énergie voguait jusqu'à nous, comme pour annoncer sa présence et sonder nos âmes. Cet endroit était chargé d'enchantement et son cœur, là où les âmes étaient retenues, nous priait de le rejoindre. Je sentais dans son parfum que cette magie était pervertie. Pourtant, elle était toujours belle d'origine. La magie n'était que sagesse et bonté. Mais son défaut était d'être trop facilement maniable. Quiconque en usait, pouvait la façonner à son image. En cet endroit, elle était comme pourrie et je percevais ses appels à l'aide avec tristesse.

-C'est encore loin ? Murmura Alexie, la voix tremblante.

Pour toute réponse, je secouai la tête, incapable de parler de peur de perdre mon équilibre. Non, ce n'était plus très loin, je voyais le cœur du marais se dessiner au bout du chemin. C'était sur cette large plate-forme boueuse que nous pouvions invoquer les morts. Des nuages denses s'amassaient au dessus de ce cercle de terre, quand le ciel entier était pourtant dégagé. C'était à la fois étonnant et sublime.

C'était la première fois que je me rendais dans cet endroit sinistre. Et les peintures que l'on trouvait dans les livres ne lui rendait pas justice. Le marais était certes mystique et effrayant mais somptueux dans toute son atrocité. Il sentait la mort, la colère et le chagrin. Mais il possédait quelque chose de fascinant.

-Bon sang que c'est long... Jura Hadriès.

-On y est... Soufflai-je difficilement, arpentant les derniers mètres les yeux rivés sur mes chaussures. Ça y est !