Chapitre 18 : Alexie

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Je venais d'accepter. Je n'arrivai pas à y croire. Étais-je devenue folle ? Ou suicidaire ? M'avaient-ils jeté un sort pour que j'approuve ma mission ?

J'avais tourné en rond toute la nuit, dans cette chambre somptueuse aux couleurs automnales, ressassant les images de ce film enchanteur dont j'avais été témoin. Ce livre qui avait pris vie sous mes yeux, déroulant d'une traite l'histoire des mages avec un tel réalisme que je m'y croyais encore. Les odeurs étaient si réelles, les images si authentiques. Plus encore qu'un film ou une simulation, j'y étais tout simplement. Sur ce champs de bataille parsemé de corps sans vie, la terre souillée de sang, les plaintes des derniers survivants résonnant encore dans mon crâne. Je foulais la terre à leur côté, spectatrice malgré moi, témoin de leur histoire, de leurs rires, leurs larmes, leurs victoires, leurs déchirements. Je voyais tout, ressentais tout. C'était aussi brutal qu'émouvant. Aussi insensé qu'évident. Tout prenait sens et devait plus flou à la fois. J'étais partagée entre l'envie de fuir, et celle de comprendre enfin qui j'étais. La lâcheté et le courage. Le dénis ou l'acceptation. Je n'avais jamais été pleutre, ni même froussarde, bien que la vie demeurait pour moi un mystère. Il était facile de se reconnaître courageux, lorsque nous étions témoins du mal depuis les murs de notre forteresse. Que savais-je de la cruauté ? De la douleur ? Du crime ? Quand toute mon existence ne se résumait qu'à la solitude dans un décors coupé du monde. Que pouvais-je bien faire valoir si ce n'était mon inexpérience et ma naïveté? Qu'attendaient-ils d'une fille au passé vide de connaissances et de vécus ?

Les trois êtres qui me faisaient face portaient sur leur visage les traits d'une vie riche et complexe. Hadriès semblait être de ceux qui en avaient trop vu, trop vécu, mais qui s'évertuaient à ne pas grandir, malgré une incroyable maturité. Sophie, elle, paraissait tout savoir, tout comprendre, et ce, depuis bien longtemps déjà. La naïveté et la candeur n'habitaient plus ses iris. Son cœur d'enfant avait déserté sa poitrine bien avant l'heure, l'obligeant à revêtir une cape bien trop grande pour ses frêles épaules. Madeleine, elle, m'apparaissait la plus énigmatique. Je ne lui trouvais pas de douleur propre, ni de passé troublé par le mal. Je ne voyais en elle qu'une enfance heureuse dans une famille qui n'avait de tort que de l'avoir trop aimée. Mais l'empathie que je lisais dans son cœur suffisait à me couper le souffle. Elle aimait trop. Ressentait trop. La souffrance des autres, Madeleine la faisait sienne. Elle se l'appropriait. La jeune fille d'à peine deux ans mon aînée, éprouvait pour les autres. Car elle les aimait, plus que sa propre vie.

Cette soudaine capacité à lire en eux me fit me crisper. Mon cœur se mit à galoper dans ma poitrine. Comment était-ce possible ?

-Ta magie se déploie... Murmura Sophie, que je voyais à peine sous mes larmes naissantes. Je la sens se glisser sous ma peau.

-Tu la sens ? répétai-je, désorientée.

-La plupart des mages serait incapable de le percevoir, mais moi, oui, j'ai étudié ta caste, et je sais de quoi tu es capable. Ton don de Senssaïr me goûte, il me sonde. C'est de cette manière qu'un catalyseur capte l'essence des mages. Pour savoir si elle est malfaisante, ou pas.

-Je n'ai rien fait. Rien commandé ! Balbutiai-je.

-Ton don est indépendant sur cet aspect, Alexie. Pour réveiller ta nature, il te fallait d'abord y croire. Maintenant, chaque fois que tu croiseras un mage, tu liras en lui comme tu as lu en nous. Ce ne seront jamais des images concrètes, ni des souvenirs qui leur appartiennent, simplement une aura, qu'il te sera facile de décrypter. En revanche, il te faudra savoir contrôler tes dons de catalyseur. Le maniement du pouvoir des autres dépendra de ton apprentissage et de ta volonté. Je serai là pour t'aider. Je connais la marche à suivre. Es-tu prête pour commencer maintenant ?

Le Cercle de MoonstoneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant