Chapitre 15 partie 1: Alexie

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-Du baby-sitting ?

Je ne connaissais rien aux enfants. Certes, au foyer, résidaient des filles de tout ages, mais je n'avais jamais pris la peine de me lier avec l'une d'entre elles. Pour autant, cette condition semblait des plus honnêtes. Je pouvais facilement coupler ce travail avec celui de plongeuse au restaurant de Monsieur Serval et me faire ainsi un meilleur chèque à la fin du mois. Et puis, ça ne devait pas être si difficile. Je savais amadouer les gens et les faire plier dans mon sens, un enfant devait être encore plus malléable.

Malheureusement, les regards qu'échangeaient les trois inconnus paraissaient beaucoup trop suspects. Là n'était pas la condition. Il y avait autre chose. Et c'était sur cette partie du discours qu'ils semblaient tous craindre mon refus.

Tout était encore bien trop beau pour être vrai. A commencer par cette maison. Si de l'extérieur, elle ne payait pas de mine, l'intérieur était pourtant à couper le souffle. Elle n'était pas luxueuse, bien au contraire. Mais elle était immense et chaleureuse. Loin d'être moderne, elle était exotique et rustique à la fois. On y trouvait toutes sortes de bibelots et de tapisseries. Il n'y avait aucune loi. La décoration n'était qu'un fouillis d'antiquités et de couleurs. Pourtant, je n'avais jamais rien vu d'aussi personnel. Nous étions bien loin des pièces aseptisées et froides du foyer, à l'opposé de la fadeur de nos dortoirs. Ici, il y avait une âme, des odeurs délicieuses et réconfortantes, des couleurs chaudes, et aucun endroit jusqu'à ce jour n'avait jamais aussi bien porté le nom de « maison ».

Avoir une chambre ici, même si cela signifiait tirer un trait sur la solitude, restait une aubaine pour moi. Les pièces communes étaient spacieuses et magnifiques. Et le quartier, à mille lieux de la banlieue mal famée de Moonstone, était un luxe que je n'aurais jamais pu me permettre un jour. Nous étions en plein centre ville. Je n'avais qu'à marcher quelques mètres pour me mêler à la ferveur citadine. Tout était à portée de main. Tout.

Pourtant, je détestais leur silence. Et j'étais prête à cracher sur une telle opportunité si l'on tentait de me berner.

-Le piège. Quel est-il ? Soyez honnête ou je m'en vais.

Je n'avais pas la patience d'attendre, pas plus que l'envie de jouer de mes qualités de persuasion pour leur faire cracher le morceau. Je savais parfaitement retourner les esprits et les faire plier dans mon sens, j'avais toujours eu cette capacité. Même si je dégageais l'exact opposé, j'étais persuasive et dotée d'éloquence, mais cela demandait du temps et ce temps, je ne voulais pas le perdre. Je voulais simplement rejoindre un lit, quel qu'il soit, en ayant la conscience tranquille et l'assurance d'être en sécurité.

Si ces jeunes étaient des hors la loi, je ne pouvais accepter leur hospitalité, même si pour cela il me fallait passer la nuit sous le pont des spectres, à quelques kilomètres de là.

-Avant de tout te raconter, je veux être sûr que tu ne détaleras pas d'ici sans avoir entendu tout ce que nous avions à te dire. Tout. Après ça, tu es libre de nous quitter et de retrouver ta vie.

Le ton d'Hadriès était grave et sérieux. Ce personnage, de tout juste mon âge, paraissait tout à coup en faire vingts de plus. Les traits de ce garçon étaient étrangement expressifs. Si pour Madeleine, sa peau restait lisse et juvénile lorsqu'elle souriait, Hadriès, lui, dévoilait de nombreux plis. Ça n'enlevait rien à son charme délicat, au contraire, cela donnait à son visage du caractère. Et à cet instant, ses yeux froncés d'appréhension attestaient de l'importance de sa demande.

Madeleine, Hadriès et Sophie ne souriaient plus. La pièce était tout à coup chargé d'un air lourd et épais. Je n'étais pas idiote, je savais cerner les gens et détecter le danger. Et, comme la première fois où j'avais vu Hadriès, à ma sortie du foyer, je savais à cet instant, qui qu'étaient ces gens, que jamais, ils ne m'auraient fait de mal. Ils n'étaient pas des hors la loi, c'était une certitude. Pas plus que dangereux. Ils étaient simplement des marginaux. Comme moi, finalement.

Alors, même si j'étais épuisée, avec l'envie dévorante de m'écrouler sur le tapis pour y dormir jusqu'au petit jour, je me fis la promesse d'écouter leur requête. Je les savais sincères. Je l'avais sentis. Si je n'adhérais pas à leur proposition, je pouvais partir. J'en avais la garantie.

-Je vous promet de vous écouter jusqu'au bout.

Et ce soir là, j'étais loin d'imaginer que ma vie allait basculer.


Le Cercle de MoonstoneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant