XV

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Je sortais du bureau de Jarred, quand j'ai croisé Liya aujourd'hui. Hier on ne s'était pas vu. J'avais quelques trucs à régler, puis j'ai eu de la visite.
Liya vient tout juste de rentrer dans mon bureau. Couchée sur le divan, je réfléchissais, je lève les yeux vers elle, pendant qu'elle s'asseoit.

- Quoi? La cour ne te convient pas aujourd'hui?

Je l'avais dit qu'elle me trouverait dans mon bureau, que je l'attendrai ici. En fait, j'étais sur le point de partir à sa recherche quand je l'ai croisée sur le pas de la porte du bureau de Jarred. Elle m'a dit que Jarred a renvoyé de deux heures sa séance d'aujourd'hui.

- Non, j'avais besoin de calme.

Elle haussa un sourcil, se croise les peids comme si elle cherche à trouver la position idéale.

-Calme? Tu sais que cet endroit est noyé dans le calme, m'expliqua-t-elle. Bon, à part deux, trois cris de terreur ou de victoire, poussés par les patients de temps en temps. C'est le calme parfait ici.

Je la regarde, et voit que chaque jour, je rencontre une Liya vivante, persuasive, avec un sens de l'humour incorrigible..

-Ça a été ta séance? Jarred m'a dit que tu t'entends bien avec lui.

Elle me regarde, me scrute, regarde autour d'elle. Mais qu'est-ce-qu'elle cherche?

- Oui, tout va bien avec Jarred. Le problème c'est que je viens de passer une heure, enfermée dans un bureau. Et que j'ai envie de prendre l'air. Si tu ne veux pas aller dans la cour, on peut toujours aller dans le bistrot du coin.

-Le bistrot du coin?

-Oui, et tu commandes..

Nous nous levons et sortons de mon bureau.

-Liya, rassure-moi, tu n'es pas en train de partir en vrille. Parce qu' appeler la cafétéria du centre, le bistrot du coin me paraît pas normal.

Elle se mit à rire et reprend,

- Je vais bien. Tu aurais dû voir ton visage, avec ton faux air, inquiet et pensif. Disons que dans ma tête en vrac, j'aménage le centre à ma façon. La cafétéria est le bistrot, et la cour est le parc.

-Oui, tu es timbrée. Ajoutai-je en riant. Mais, Pourquoi c'est à moi de commander?

- Parce que, même si c'est pas moi qui vais te l'apprendre, les dames qui servent à manger sont infirmières. Elles controlent si tu manges trop, ou si tu manges peu, ou pas du tout, si tu manges tout le temps la même chose, si tu aimes ou déteste un truc etc.. Et surtout, le feront part à ton psychologue.

Je la regarde surprise.

-Oui, je sais, affime-t-elle, en prenant un air fier et moqueur. Je suis intelligente et très douée. Si cela passe inaperçu pour les autres, moi je m'en rends compte. Et tu n'es pas à ta dernière surprise.

- Ok, je prends note. Tu as quelque chose à cacher à Jarred, puisque tu veux que je commande?

Elle s'arrête net. Et touche son front d'un air las.

-Mais non, Miv. Tu vois le mal, là où il y en a pas. J'ai une faim de loup, j'ai très envie de manger. Je ne veux surtout pas avoir à expliquer au Dr Laval que j'avais très faim, voilà pourquoi j'ai tant mangé.

Je m'apprêtais à lui demander c'était quoi le problème alors, quand elle continua,

-Pas que cela me dérange, mais j'aurai l'impression d'être un enfant qu'on surveille, un enfant à qui Liam dit quoi manger, quand manger et quelle quantité prendre, ajouta-t-elle en faisant une petite moue. Pis ces dames n'auront pas peur de dire qu'elles me soupçonnent une boullimie. Donc si tu commandes c'est pas un problème, je suis avec l'une des meilleures psy du centre.

Nous rions de bon coeur, je passai commande. Et oui, madame m'a fait faire pour elle, une commande pour dix. Et là, je pèse mes mots. Je me retiens de lui faire savoir, je n'ai pas envie de remonter, sans le vouloir, des souvenirs de remarques sordides de Liam. Elle veut s'en défaire vraiment de cet idiot. Et cela me réjouit.
Nous commençons chacune nos plats, en silence. Je me rends compte que nous sourions toutes les deux. Je me demande ce qui l'a fait sourire. Vu son regard, elle aussi. En tout cas, mon sourire est dû à son dévouement, avec laquelle, elle mange, tout ce qu'elle m'a demandé de lui commander.

-Toi d'abord, lui dis-je.

-J'ai eu de la visite hier.

-Coïncidence, moi aussi.

-Qui? Dr Laval?

-Hein? Que vient faire Jarred là?

-Je sais pas moi. Je devine dit-elle en feignant l'innocence.

Qu'est-ce-qu'elle a derrière la tête? Je préfère ne pas continuer notre discussion sur cette voie. Je ne sais vraiment pas d'où elle sort cette remarque.

- Alors, qui t'as rendu visite? lui demandai-je

-Mélanie, me répond une Liya qui attend ma réaction.

-Benh, je ne suis pas étonnée. Car, moi aussi j'ai eu droit à ma visite surprise. Devon était à la maison.

-Il fallait t'y attendre. C'est sa maison aussi.

-Oui, sauf que j'y pense sans arrêt. Et.. cela me terrifie, confiai-je, doucement.

-Vous avez pu discuté?

-Oui, pendant longtemps.

-Tu as les réponses que tu voulais?

Je réfléchis,

-Tu sais, pour des réponses. J'ai eu des tas de réponses. Des réponses à chacune de mes questions.

-Mais?

C'est la bouche pleine de Donuts, que Liya m'invite à lui confier mes craintes. Je dépose ma fourchette, m'appuie sur le dossier de ma chaise..

-Je suis confuse Liya, je sais pas comment agir après hier. Je ne sais pas si je dois tenir Devon à distance, ou le laisser être à nouveau dans ma vie. C'est comme si j'avais l'impression que ses fautes, hésitai-je, ses fautes sont faibles face à ses justifications.
J'ai peur d'avoir la mauvaise réaction. J'ai l'impression que plusieurs personnalités se disputent en moi. La psychologue qui comprend les besoins, les peurs qu'avaient un patient ou la femme qui a été trahie par son mari qui ne sait si elle doit pardonner ou renouer, ou même l'amie qui essaie de se mettre à la place de son ami, qui a trompé sa femme.

Liya me regarde silencieuse, dépose le reste du Donuts, essuie sa bouche et sa main avec une serviette,

-C'est de ça que tu parlais avec le Dr Laval?

Mais sérieux, elle a quoi aujourd'hui avec Jarred?

-Non, répondis-je tout simplement. Je prenais de tes nouvelles. Et oui, je n'avais qu'à te demander, mais j'avais besoin de savoir d'un avis provenant d'une évaluation psychologique.

-D'accord. Miv, continua-t-elle sur un ton doux, rassurant. Tout allait bien entre vous, à la venue des jumeaux. Qu'est-ce-qui s'est passé?

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