Mélusine 3 - Chant dangereux

Chapitre 5.

Lorsqu'Aglaopé m'a demandé s'il était vrai que j'avais récupéré le trident de Poséidon, je voyais bien qu'elle mourrait d'envie de savoir où j'avais bien pu le cacher. Mais elle ne l'a pas fait et je lui en suis reconnaissante. Je n'aurai peut-être pas réussi à lui expliquer correctement où se trouvait l'attribut du dieu.

Je saute deux par deux les marches de l'escalier qui s'enfonce dans les profondeurs de la terre, au risque de glisser mais je n'en ai que faire. Je freine brusquement cependant quand j'arrive devant l'immense trou dans le mur, qu'autrefois une porte de fer et d'or dissimulait. Les débris de celle-ci trônent encore au sol. Apparemment Poséidon n'avait pas nettoyé après notre passage et je n'ai pas eu le courage de le faire lorsque j'y suis revenue. Mon regard se pose sur l'immense étendue d'eau de l'autre côté, sans limites, que ce soit en hauteur, en profondeur ou en largeur. Mais seul un détail capte mon attention. Le trident flotte, au beau milieu de toute cette eau, à une centaine de mètres de l'entrée. Comme autrefois. Et comme autrefois, il dégage cette luminescence bleue presque hypnotisante. Je reste figée un instant. Les souvenirs de la première fois où je suis me reviennent et un sourire désabusé naît sur mon visage. Qui aurait cru qu'après avoie libéré moi même le trident pour le rendre au dieu – certes, inconsciemment, mais tout de même ! – ce serait moi qui l'y renfermerais ? Cet endroit est pourtant le seul où je pouvais l'y mettre sans causer le moindre soucis. Le transporter jusque là fut d'ailleurs au départ très douloureux pour mes paumes. Le trident calcine tout ce qui n'est pas son maître légitime. Pourtant, plus le temps passait, moins il me faisait souffrir. Je pense que dorénavant je peux le saisir sans risquer la brûlure. Mais loin de moi l'envie.

C'est pour cela que je ne m'explique pas le soudain élan qui me pousse à plonger dans l'eau. Dés que mon corps percute la surface gelée je frissonne et aussitôt, mes jambes laissent place à une longue queue de serpent. Je fronce des sourcils mais ne m'attarde pas sur le détail de ma transformation mystique. La puissance de mon attribut me propulse loin en avant et je m'approche du trident. Bientôt, sa douce clarté m'enveloppe en un cocon bleuté. La lumière s'intensifie à mon approche comme si l'objet régissait à mes présences. Des voix résonnent à nouveau dans mon esprit. Des sifflements, des murmures... Je ne parviens toujours pas à comprendre tout ce qu'ils me disent. Pourquoi mon être est-il si sensible à ce genre d'onde en présence du trident ? Il ne peut intensifier mes pouvoirs alors c'est autre chose. Forcément autre chose. J'entends soudain les battements de mon cœur affolé et j'esquisse une moue agacée. Les réactions de mon corps m'épuisent.

Je reste encore un instant à contempler la beauté du trident. Dire qu'il accompagne Poséidon depuis des millénaires... Depuis sa création par la Vie. Les objets ont leurs histoires, leurs souvenirs. Que pourrait me conter celui là si je pouvais l'écouter.

Et si tu le pouvais ?

Je chasse cette petite voix agaçante – pas autant que celle d'Eris – mais elle revient au galop et m'impose cette idée avec plus de ferveur. Et si je le pouvais ? Je secoue la tête. Cela n'a aucun rapport avec un pouvoir de clé. Une clé n'entend pas les objets. Cependant, je ne résiste pas à la tentation et je ferme les yeux alors que mes doigts effleurent l'argent. Un frisson me parcourt et je me raidis. Un instant tout ce qui m'entoure disparaît. Je ne ressens plus l'eau, seulement la présence de l'arme si puissante du dieu des mers. En fait, je sens sa présence à lui.

J'ai un vif mouvement de recul pourtant ma main reste collée au trident. Contre ma volonté. Celui ci s'accroche à moi, comme s'il désirait me montrer.

Mon souffle se coupe et je ne peux plus rien quand une multitude d'images se bouscule dans ma tête à une vitesse impressionnante. Et je le vois. Au summum de sa puissance. Quand il possédait encore tous ses pouvoirs.