Mélusine 3 - Chant dangereux

Chapitre 14.

La voiture file à toute vitesse, quittant l'aéroport de Brest. Le vol Grèce- France s'est très bien déroulé cependant je regrette de ne pas m'y être rendue par voie marine. Mais il a été décidé qu'il serait mieux de voyager tous ensemble pour cette fois. Je n'ai rien dit de tout le trajet en avion, les paupières clauses, priant pour que personne ne me dérange. Je partageais avec Seth et Ligie une rangée de siège tandis que Bellérophon et Aglaopé étaient derrière nous, en compagnie d'un inconnu. De là où j'étais, bien que je feignais le sommeil, la tête sur l'épaule de mon protecteur qui caressait nonchalamment mes cheveux, je pouvais entendre à loisir la héro et la sirène se chamailler comme des enfants... Ou comme des requins en plein période de reproduction. À se demander qui mordra le premier.

Une fois l'avion atterri, nous avons filé sans demander nos restes. Plus vites nous trouverons cette oracle, plus vite nous aurons nos informations et plus vite nous pourrons rentrer en Grèce pour régler nos soucis. En attendant, nous sommes entassés tous les cinq dans une petite voiture qui s'engouffre sur des routes plus petites en direction de notre destination finale. Comme à son habitude, Seth s'est emparé du volant. Pour une fois, c'est Ligie qui prend place sur le siège du passager – la place du mort comme j'aime à l'appeler affectueusement. « Celle au cri perçant » s'applique à lui donner les indications, triturant dans ses mains une petite boussole.

Ce qui devait arriver est arrivé : je me retrouve donc à l'arrière, entre Bellérophon et Aglaopé. À mon plus grand malheur. La tension qui vibre entre ces deux là est presque insoutenable. Je comprends mieux Ligie quand elle plaignait de celle que Poséidon et moi même dégagions... « Celle au beau visage » semble pourtant déterminée à ignorer les regards que lui lancent notre allié de fortune. Tout comme je tente d'ignorer l'image de leur deux corps enlacés. Peine perdue ! Qu'ils me traitent de voyeuse si ça leur chante. La pudicité n'est vraiment pas le mot qu'on emploierait pour me qualifier. Je pousse un énième soupire, exprimant parfaitement mon souhait que les deux amants cessent leur manège mais le message ne passe à priori pas. Cela semble même amuser le héro qui s'exclame faussement en haussant les yeux au ciel :

« Ma petite caille, tu vois bien que tu prends trop de place et dérange notre vénérée Mélusine !

La sirène à la chevelure d'ivoire tourne brusquement sa tête dans sa direction et s'étouffe :

- Pardon ?

- Mais oui ! Et puis, sincèrement : à quoi sers-tu ici ?

- Je te retourne la question. Pour quelle raison devrions-nous supporter ton insupportable présence, Bel' ?

Il hausse des épaules, n'ayant visiblement pas de réponses autre que sa capacité un peu surréelle à manier une lance. Pourtant, sans se laisser démonter, il dessert à Aglaopé un sourire resplendissant et rétorque :

- En attendant ma présence te convient bien ailleurs, chère amante.

- Espérons que tu seras plus performant ici dans ce cas là.

Cette fois-ci, la réplique de la sirène m'arrache un réel fou rire que je ne contrôle pas. Je croise le regard de Seth dans le rétroviseur. Mon protecteur semble aussi être sur le point de céder à l'hilarité. Mordiable, que faisons-nous avec de tels compagnons ? Bellérophon serre la mâchoire et grogne, renfrogné :

- Crève !

- Si c'est de ta main, je suis prête à mourir mille fois.

Son clin d'œil n'échappe à personne. Il s'apprête à répondre quand notre cher conducteur appuie sec sur la pédale de frein. J'écarquille des yeux en sentant une force violente m'attirer vers l'avant. J'aurai dû attacher ma ceinture... Heureusement pour moi, une main – sûrement celle de Bellérophon – me ceinture violemment et m'attire contre le fin fond de mon siège. Je sens contre moi le corps du héro qui me maintient encore et me fige lorsque je reconnais son parfum si profond, si marin... Pourtant je ne peux m'attarder dessus. Ligie laisse échapper un cri de stupeur. La place du mort. Pourtant, elle semble bien accrochée puisqu'à part une violente secousse, elle reste à sa place. Ce n'est pas pour aujourd'hui que ce foutu nom prendra son sens. En l'insultant de toutes mes forces, je relève la tête vers Seth qui semble tétanisé, les mains crispées sur le volant. Inquiète, je détourne mon regard vers la route pour tomber sur... Une vache.