Mélusine 3 - Chant dangereux

Chapitre 16.

« Vous êtes sûr que vous ne voulez pas de la tarte ?

Sibylle penche la tête sur le coté, une expression joyeuse sur le visage, tenant dans sa paume un couteau de cuisine. Si l'oracle n'avait pas les lèvres étirées en un sourire, elle aurait pu paraître effrayante. Par ailleurs, lesdits sourires sont si resplendissants que j'arrive à m'en demander s'ils sont naturels. Ils pourraient presque me faire céder à ma gourmandise. Mais si elle s'avère aussi bonne en pâtisserie qu'en infusion – ce que laisse à présager l'étrange couleur de ce qui est sensé être la fameuse tarte – je préfère éviter l'intoxication. Mon avis semble partagé et nous secouons négativement de la tête. Elle hausse des épaules.

- Tant pis pour vous !

Et elle referme la porte derrière nous après nous avoir salués une dernière fois. Aussitôt, le froid extérieur s'attaque à nous, contrastant avec l'ambiance chaleureuse de la cabane derrière nous. À côté de moi, Ligie serre contre elle la boussole que vient de nous confier Sibylle. Elle est sensée nous mener à Elämä. Je ne sais vraiment pas où l'humaine s'est procuré ces objets mais ils sont imprégnés de magie. D'après la sirène aux cheveux d'or, c'est une sorcière qui s'en est chargée. Ce qui semblerait logique. Mais quelque chose me dérange. Je suppose que je ne saurais jamais quoi. Alors que nous allions nous mettre en route, Bellérophon interroge :

- Qui est cette Elämä ?

- Il s'agit d'une prêtresse de la Vie.

- La Vie ?

Mince, si cela aussi ils l'ignorent, tout leur expliquer devient compliqué. Sans conviction, je tente :

- Vous ne voulez pas attendre qu'on arrive à la voiture ?

- Non, dites-le nous maintenant. Nous ne pouvons pas vous aider sans avoir toutes les informations. proteste Aglaopé.

Elle n'a pas tort. Autant profiter du calme que nous offre encore la petite plate-forme sur laquelle se trouve la maison de Sibylle qui doit être en train de déguster sa « délicieuse » tarte.

- Poséidon nous l'a expliqué il y a euh... quelques temps. Les dieux ne sont pas les maîtres absolus. Il y a les entités, celles qui les ont créé. La Vie et la Mort en sont les principales. Mais il y a aussi le Temps et à ce que j'ai compris, peut-être le Destin. Ce sont eux les véritables maîtres de ce monde. Et c'est la Vie qui a créé les Clés.

Les deux amants me fixent comme si je venais de leur annoncer que la Terre était plate. Ce qui n'est pas totalement loin, c'est vrai. C'est leur connaissance du monde que je remets en cause avec ces quelques phrases. D'un ton hésitant, « celle au beau visage » interroge :

- Il existe des prêtresses de la Vie ?

- Oui. En tout cas nous en avons rencontré une et d'après elle, elle n'était pas la seule.

- À ta manière d'en parler, je n'ai pas l'impression que tu l'apprécies.

- Disons qu'elle ne nous a pas été d'une grande utilité la dernière fois.

Seth ricane avant de marmonner :

- C'est un euphémisme.

- Elle s'est surtout amusée à semer le trouble. renchérit Ligie.

- Et c'est elle qui est sensée nous aider ?

Je comprends la suspicion de Bellérophon puisque je la partage. Qu'est ce qui nous dit que cette fois-ci Elämä nous aiderait ? Qu'y-a-t-il de différent ? Et surtout, se souviendra-t-elle de notre passage puisque celui-ci a eu lieu sur l'autre ligne de temps ? Quelque chose en moi me murmure que oui. C'est comme si la prêtresse était hors du temps. À moins que ce ne soit la Vie qui le lui ait peut-être soufflé ? Enfin bon, nous ne saurons si c'est le cas que lorsque nous nous retrouverons face à elle.