How kind

8/ False Messiah

-Je veux te montrer quelque chose, souffla Crowley.

Ils venaient d'achever leur petit déjeuner, ou plutôt Aziraphale avait engouffré une quantité astronomique de nourriture tandis que Crowley avait siroté une tasse de thé en le dévisageant ouvertement.

Dormir faisait du bien à l'ange, il avait des traits bien plus détendus que d'ordinaire. Peut-être aussi que le fait qu'il ait oublié la charge qui lui incombait en tant que Principauté jouait comme un effet calmant sur ses nerfs, mais il rajeunissait.

-Je vous suis, fit Aziraphale avec un petit sourire.

À l'étage au dessous de celui des chambres se trouvait la bibliothèque. Crowley n'avait pas encore eut le temps de la faire nettoyer d'un miracle ou des mains de Miss Euston, aussi était-elle bien poussiéreuse. Il ouvrit théâtralement les grandes portes et attendit patiemment qu'Aziraphale réagisse.

Le petit cri de surprise et de joie ne vint pas.

Crowley se retourna et examina l'ange qui marchait en faisant grincer le parquet. Il tournait sur lui même, observant les immenses étagères qui croulaient sous les livres. Il s'aperçut soudain que le démon l'observait et resta quelques secondes impassible avant de laisser un énorme sourire lui manger le visage et de s'exclamer :

-Comme c'est beau ! Et comme c'est grand ! Que de richesse, ces nombreux livres ont dû vous coûter cher !

-Tu n'en penses pas un mot, constata Crowley.

Le visage d'Aziraphale se fit gêné d'être démasqué. Il fit un petit pas en arrière, comme s'il craignait la réaction du démon, et murmura :

-Vous aviez l'air tellement enthousiaste à l'idée de me montrer votre bibliothèque que je ne voulais pas vous décevoir...

-Je ne lis pas, lança distraitement le Lord. C'était pour toi.

-Pour moi ? demanda l'ange et Crowley eut la satisfaction de voir sa surprise.

Le démon s'approcha de la fenêtre et tint ses mains dans son dos, observant de ses yeux perçants la campagne brumeuse à travers les vitres sales. Aziraphale s'avança à son tour et se posta à côté de lui. Il ne regardait pas le paysage. Il le regardait lui, Crowley, et le démon sentit son cœur battre à tout rompre.

-Je ne sais pas lire, murmura l'ange.

-Vraiment ? fit Crowley l'air de dire qu'il n'en pensait pas un mot.

-Non, je ne sais pas lire. Je ne suis qu'un domestique, vous savez.

Le démon se tourna vers le prétendu domestique et laissa traîner son regard sur ses yeux d'un bleu triste, à travers ses verres teintés. Il avait presque l'impression qu'Aziraphale était plus gêné de le décevoir que de ne pas savoir lire, et c'était à la fois triste et terriblement amusant.

-Tu devrais essayer, l'Ange, susurra Crowley. Si jamais tu ne sais pas lire, c'est effectivement que tu n'es qu'un domestique, mais si tu sais lire, c'est que tu n'es pas ce que tu prétendais être.

-Que serais-je, alors ? demanda naïvement Aziraphale.

Crowley s'éloigna vers les étagères et prit un livre au hasard. Il regarda distraitement la couverture et grimaça. Pourquoi n'y avait-il que des œuvres sur la religion à cette maudite époque ? Il tendit l'ouvrage à l'ange qui le prit avec réserve.

Il était conscient du prix des choses. Il savait que les livres valaient cher. Peut-être aussi, qu'inconsciemment, il respectait le savoir qu'ils contenaient ? Il y avait encore d'Aziraphale dans cet humain, il y avait un Aziraphale qui ressortait par touches, et curieusement, cela fit du bien à Crowley de le constater.

L'ange prit quelques instants pour caresser du doigt la couverture avant d'ouvrir le livre au hasard. Il soupira, sentit ses yeux se brouiller de larmes lorsqu'il crut qu'il ne parvenait rien à lire, mais Crowley posa une main sur son épaule à l'entraîna vers la lumière.

-Là, ce sera mieux, chuchota-t-il.

-Attendez, je ne crois pas que... Si... « À sa sortie, le faux messie sera doté d'eau et de feu. Ce qui paraîtra aux yeux des gens comme étant feu, ne sera en vérité qu'eau fraîche, et ce qui leur paraîtra eau fraîche ne sera que le feu brûlant. Celui qui sera témoin de ce jour, qu'il se jette dans ce qui lui apparaîtra comme du feu, car ce sera pour lui de l'eau douce et fraîche ! »

Il aurait certainement continué, lisant avec délice ces mots qu'il articulait d'une manière douce et délicate, mais Crowley prit le livre et le referma doucement. Il regarda attentivement Aziraphale qui paraissait sous le choc de découvrir qu'il savait lire, alors qu'il l'avait bien vu à Rome parcourir les temples et leurs inscriptions, qu'il l'avait vu à Alexandrie et qu'il l'avait vu lire, à chaque fois que leurs routes se croisaient.

-Tu veux essayer avec un autre livre, l'Ange, ou tu es convaincu de savoir lire ? fit Crowley d'une voix moqueuse.

-Si je ne suis pas ce que je prétends être... Qui suis-je ? demanda Aziraphale.

Il avait posé cette question une seconde fois, et une seconde fois le Lord ne lui apporta pas de réponse. Il lui souhaita une bonne lecture, arguant qu'il avait de multiples choses à faire dans son domaine et s'éloigna. Il fallait laisser du temps à Aziraphale, du temps...

Ils avaient vécu des milliers d'années sur cette Terre, il pouvait bien lui accorder une journée pour lui même.

À l'intérieur de la bibliothèque, l'ange frissonna. Il n'était pas ce qu'il prétendait être, et curieusement, il ne pouvait s'empêcher de faire le parallèle avec le passage qu'il venait de lire. Il savait ce qu'était la religion, il connaissait comme tout le monde les commandements par cœur, peut-être même saurait-il citer quelques sermons du bout des doigts. Pourquoi ce passage sur le faux messie lui était-il si douloureux ?

Parce que comme lui, il n'était pas ce qu'il prétendait être. Et le faux messie allait semer la destruction sur son passage, car...

- « Ce qui paraîtra aux yeux des gens comme étant feu, ne sera en vérité qu'eau fraîche, et ce qui leur paraîtra eau fraîche ne sera que le feu brûlant. » souffla Aziraphale.

L'ange eut un petit rire sans joie, puis décida d'oublier ce trouble. Il rangea le livre et s'empara d'une version de L'Ancien Testament en anglais. Il n'allait pas tenter tout de suite d'apprendre s'il parlait latin !