20/ War

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– Est-ce que tout va bien, Mr Zira ? demanda Miss Euston.

Il y avait dans sa voix l'assurance tranquille de ceux qui étaient parfaitement habitués aux départs précipités du propriétaire. Elle débarrassa l'assiette que le Lord n'avait pas touchée, laissant Aziaphale seul dans la salle à manger. Après quelques minutes que l'ange passa à calmer les battements de son cœur, il se leva et se dirigea vers la fenêtre.

En plissant les yeux, il pouvait voir la nuit noire envelopper le château et toute la campagne environnante.

Il se faisait du souci pour Lord Crowley.

Après tout, il était parti tellement vite ! Et la nuit qui approchait, dangereuse, sournoise, cruelle ! L'ange avait la sensation que le démon allait au devant des ennuis, qu'il devait aller l'aider, le protéger, le...

Rien.

Il n'avait jamais rien fait pour protéger le Lord. C'était toujours lui qui prenait soin de lui, qui le maintenait en vie, le sauvait de toutes les situations malencontreuses dans lesquelles il plongeait. S'il y avait une personne responsable, c'était bien lui.

Aziraphale toucha du bout des lèvres la croix de métal froid qui pendait à son cou, avant de quitter la pièce. Il n'avait plus faim. Avait-il eu faim un jour ? Il lui semblait que son ventre se serrait et se tordait, comme s'il allait rejeter toute la nourriture bénie par le Père qu'il avait absorbée.

Il allait vomir.

Tremblant, l'ange se laissa tomber contre le mur, dans les escaliers. Il resta quelques instants sans bouger, respirant difficilement, tentant à grande peine de comprimer cette horrible sensation qui grimpait de son ventre à sa gorge.

Une sensation qu'il n'était pas censé connaître.

Aziraphale laissa tomber la chandelle qu'il tenait pour s'éclairer qui retomba dans un bruit sourd. Il tenta de se relever pour aller l'éteindre mais, par chance, la flamme avait disparu sans atteindre la tapisserie.

Lord Crowley l'aurait probablement tué s'il avait mis le feu au château. Le feu... Un brusque souvenir sembla lui revenir – ou était-ce une hallucination ? – et il se vit avec une épée de feu, au cœur d'un jardin. Non, ce n'était pas un jardin, ça n'avait rien de naturel ou de vivant, c'était...

La guerre.

Une part d'Aziraphale se disloqua, et il plongea, sentant son cœur se comprimer et ses poumons manquer d'air peu à peu. La guerre, c'était la guerre. Sanguinaire, cruelle, inhumaine ! Mais la guerre était-elle vraiment une invention d'Hommes ? Il lui sembla entendre un ricanement dans l'ombre, celui d'un meurtrier avant qu'il ne tombe.

Il tombait !

La terre tremblait sous ses pieds et il tombait ! Mais il se rattrapa, planta son épée dans le roc, et se hissa sur la falaise. Une falaise ? Non, c'était autre chose... Les mirages se brouillèrent, et les sons devinrent chaotiques.

Le chaos. L'obscurité qui embrassait la lumière. Aziraphale eut un frisson, il crut hurler mais aucun son ne sortit de sa bouche.

Dieu que ça faisait mal !

Où était Lord Crowley ? Il avait besoin de lui, il avait besoin qu'il lui promette que tout irait bien, que ce qu'il entendait, ce qu'il voyait, n'étaient que des mensonges ! Il avait besoin de rester sourd aux horreurs qu'il entendait, aux cris sanguins, aux âmes perdues et déchirées par la violence de la guerre ; il avait besoin de rester aveugle à toutes les cruautés qu'il voyait, les sourires qui pleuraient et les membres déchiquetés par la rage.

Il avait mal. Mal !

Il fallait que Lord Crowley vienne, il fallait qu'il le sauve, il fallait que tout s'évanouisse !

Tu as déjà croqué la pomme, l'Ange ?

Mais il n'y avait pas d'ange, il n'y avait qu'un humain, désespérément traumatisé par la guerre. La guerre. Quelle guerre ? Une croisade ? Une guerre contre la France ? Une guerre, peu importait laquelle. Une monstruosité qui n'était pas naturelle, un chaos orchestré par des entités supérieures aux Hommes.

Il avait si mal !

La fraîcheur du mur contre sa tête sembla l'aider à reprendre ses esprits. Il ouvrit péniblement les yeux, frémit lorsqu'il s'aperçut qu'il était seul. Aziraphale tourna lentement la tête vers l'escalier. Au loin, vers le dernier étage, une lumière vacillante semblait l'inviter à monter.

L'ange se leva. Il avait besoin de réponses.

Il monta lentement les marches, comme guidé par ce qui semblait être la flamme d'une bougie. Qui avait pu allumer ça ? L'accès à l'étage était formellement interdit, et Miss Euston et Jane craignaient toutes deux d'y monter. Lord Crowley l'avait-il fait ?

Aziraphale ne s'arrêta pas à la pièce au portrait, il alla plus loin, s'engagea dans une pièce où l'air rentrait sans difficulté. Il n'y avait plus de fenêtre, et la lumière de la lune filtrait derrière des feuilles de vigne vierge entrelacées.

L'ange chercha la lumière, il lui sembla l'apercevoir, la deviner derrière un voile qui masquait quelque chose. Un... Miroir ?

Aziraphale eut un sursaut d'horreur.

Des yeux jaunes luisaient dans l'obscurité.

How kindOù les histoires vivent. Découvrez maintenant