16/ Snake

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-Je crois que je connaissais Lord Crowley, dit Aziraphale.

-C'est fort possible. Après tout, vous étiez tous deux à la Cour lorsque vous avez perdu la mémoire, répondit Miss Euston.

Ils étaient tous deux devant une tasse de thé dans la cuisine, et le regard de l'ange errait entre le visage ridé de la vieille gouvernante et une assiette de biscuits à l'orange confite. Jane venait de les quitter pour vaquer à ses occupations, et l'ami du Lord s'était enfin senti autorisé à se confier à la femme qui avait vécu certainement plus longtemps que lui.

Comme il se trompait.

-Je veux dire : je crois que je connaissais vraiment Lord Crowley, que nous avons été proches. Pourquoi m'aurait-il amené ici, sinon ? Pourquoi aurait-il tant pris soin de moi ? Peut-être nous sommes nous connus là-bas, qu'il savait et qu'il sait toujours qui je suis.

-Vous étiez domestique, c'est cela ? demanda la vieille femme.

-Je pensais l'être, mais je ne suis plus sûr de rien. Je crois que j'étais homme d'Eglise.

Miss Euston eut un petit rire qui n'avait pas l'air si amusé que cela. Aziraphale se sentit rougir et baissa les yeux vers sa tasse de thé, croyant qu'elle se moquait de ses suppositions.

-Oh ! Ne soyez pas gêné, je ne m'amusais pas de vous, Zira ! Voyez-vous, penser que Master Crowley était proche d'un homme d'Eglise alors qu'il abrite probablement le malin en lui est très cocasse.

-Vous croyez ? murmura l'ange.

Lui n'en croyait pas un mot. Le démon n'abritait pas le Mal en lui, il l'abritait chez lui, et il avait bien l'intention d'en découvrir davantage. Il tenta de ne pas paraître suspicieux aux yeux de Miss Euston et prit un air entendu en se penchant vers elle :

-Dites-moi... Y aurait-il... Une créature étrange, ici ?

-Good Lord, non ! Mis à part quelques rats, il n'y a rien d'anormal ici ! Je n'accueille pas le Diable dans la maison ! fit la gouvernante avec une expression choquée.

-Non ! Ce n'est pas ce que je voulais dire... tenta de se rattraper Aziraphale. N'avez-vous jamais rien aperçu d'étrange, dans les environs ?

Miss Euston fit mine de réfléchir, et l'ange tenta de ne pas paraître impatient. Il but une nouvelle gorgée de thé, espérant avoir rapidement la réponse à ses questions. Il voulait comprendre. Il voulait comprendre ce que Crowley lui cachait et découvrir enfin la vérité sur lui, sur sa relation avec le Lord, sur eux.

-C'était il y a une quinzaine d'années... Master Crowley venait de devenir propriétaire du château, et je venais tout juste d'être engagée pour tout tenir en ordre. C'était une demeure atroce, tout y respirait la moisissure et la poussière accumulée au fil des ans.

Aziraphale se retint de lui dire que l'endroit était tout aussi poussiéreux maintenant, étant donné qu'il n'avait pas envie de blesser la vieille dame et qu'il avait besoin d'entendre la suite de cette histoire. Il touchait au but...

-J'ai passé plusieurs semaines à nettoyer le premier et le deuxième étage, la bibliothèque m'ayant pris un temps monstrueux. C'est là que je suis montée pour la première – et pour la seule – fois au dernier étage. L'escalier était sinueux et sombre, les tableaux semblaient bouger et m'invitaient à revenir sur mes pas. Pourtant, il fallait bien que je nettoie tout, pas vrai ?

-C'est bien vrai, my dear, répondit Aziraphale, sans comprendre pourquoi il se permettait de prendre ce ton protecteur avec cette femme qui était d'un âge bien plus respectable que le sien.

-Je n'ai pas réussi à ouvrir les volets, on aurait dit que personne ne l'avait fait depuis dix ans. Maintenant, le bois doit être complètement pourri, après toutes ces années... continua Miss Euston. J'ai ramassé les meubles brisés, les éclats de cristal au sol et les livres déchirés qui semblaient avoir été vécu la guerre. Il s'était certainement passé quelque chose de terrible ici, mais le pire était alors à venir.

La gouvernante s'humecta les lèvres et eut un regard contrit pour l'ange. Elle prit une inspiration faible et lui murmura d'une voix tremblante en désignant l'assiette de biscuits :

-Vous pouvez en prendre un, vous savez. Master Crowley n'en mange pas. Je crois qu'il me les demande juste parce que le glaçage est difficile à faire.

Pour lui faire plaisir, lui laisser le temps de reprendre ses esprits et satisfaire sa gourmandise, l'ange se délecta d'un petit gâteau tout en accompagnant le moment de remarques aimables et chaleureuses. Plonger dans le passé n'était pas difficile que pour lui. Il y avait peut-être des souvenirs douloureux qui méritaient de rester cachés.

-Il y avait un monstre, reprit Miss Euston. Un serpent énorme. Je crois qu'il dormait, mais j'ai poussé un hurlement, et il a ouvert ses grands yeux jaunes pour les poser sur moi. Je ne sais pas ce qu'il s'est passé après, je crois m'être évanouie. Quand j'ai tout raconté à Master Crowley, il m'a dit de ne plus jamais monter au dernier étage et que je n'avais pas à m'en faire. Il ne m'a pas crue, mais je sais ce que j'ai vu !

-Ou alors, il vous a crue et il a chassé le monstre. Il n'y a plus pareille créature dans ces lieux depuis quinze ans, siffla une voix sèche derrière eux.

Aziraphale sursauta et se retourna pour observer Lord Crowley qui se tenait appuyé contre le chambranle de la porte. Depuis combien de temps était-il là ? Qu'avait-il entendu ?

-Cessez de raconter vos vieux souvenirs à mon invité, Miss. Ces discours n'ont pas lieu d'être.

La vieille femme s'empourpra et Aziraphale eut pitié d'elle lorsqu'elle se leva pour retirer le service à thé de ses mains tremblantes. Il eut un regard de reproche pour Crowley, mais ce dernier ne sembla pas s'en formaliser et s'approcha de lui pour posa une main chaude sur son épaule.

-Je ne veux pas que tu montes au dernier étage, Zira. Suis-je bien clair ? susurra le démon d'une voix dangereusement lente.

-Oui, Milord... fit l'ange d'un air penaud.

Pourtant, lorsque son hôte lui annonça qu'il gagnait la ville la plus proche pour envoyer une lettre, Aziraphale ne put contenir le frisson d'excitation qui le parcourut. Il était déterminé à découvrir ce qu'il y avait vraiment au dernier étage.

Après tout, Lord Crowley n'en saurait rien. Ce n'était qu'un petit mensonge...

How kindOù les histoires vivent. Découvrez maintenant