17/ Last floor

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-Mr Zira ? Où allez-vous ?

Aziraphale se tourna pour découvrir Jane dans le couloir. Cette dernière le dévisageait d'un air incrédule, et peut-être légèrement apeuré. L'ange descendit quelques marches pour être à sa hauteur, et lui fit un sourire rassurant.

-Master Crowley ne veut pas que l'on monte au dernier étage, chuchota Jane.

-Il m'en a donné l'autorisation, mentit Aziraphale après quelques secondes d'hésitation.

-Je ne vous crois pas, souffla la servante. Vous allez avoir des ennuis !

-Je vous promets que je n'aurai aucun ennui, my dear. N'en parlez pas au Lord, voulez-vous ?

Il se pencha vers elle et sur le ton de la confidence murmura :

-Ce sera notre petit secret...

-Je ne peux pas vous empêcher de monter, Mr Zira. Mais...

-Tout ira bien, my dear. Tout ira bien. Allez, enfuyez-vous, avant que Miss Euston ne vous surprenne près de l'escalier du dernier étage ! plaisanta Aziraphale.

La jeune femme eut un petit sourire amusé, et s'éloigna, feignant de n'avoir rien vu et de n'avoir rien entendu. Se sentant coupable de l'avoir poussée au mensonge, l'ange se signa avant de monter à pas de loup les marches de l'escalier en colimaçon.

Il faisait de plus en plus sombre et il faisait de plus en plus froid, comme s'il gravissait une montagne enneigée. Aziraphale frissonna mais ne rebroussa pas chemin. Il avait envie de savoir ! Lord Crowley lui cachait quelque chose, et ce quelque chose était certainement lié à son passé ! Il savait, il savait qui il était et il savait ce que renfermaient ces lieux sombres et dangereux.

L'ange s'y reprit à plusieurs fois avant de parvenir à ouvrir la porte aux gonds rouillés du dernier étage. On n'y voyait rien. Heureusement, il avait pensé à prendre une chandelle, et la lumière vacillante éclairait faiblement le couloir dans lequel il venait d'arriver.

Aziraphale hésita. Il était encore temps de rebrousser chemin et d'aller tranquillement lire un livre à la bibliothèque, il était encore temps de ne pas trahir la confiance de Lord Crowley et de renoncer à sa curiosité, il était encore temps d'éviter les problèmes, d'éviter les malheurs, d'éviter de réveiller les vieux souvenirs.

La tentation était trop forte.

Il fit un pas, puis un autre, s'engagea dans la première pièce. Il lui semblait que c'était un petit salon, d'un temps encore plus ancien que ceux de la partie habitée de la demeure. On aurait dit qu'il était déjà défraîchi et vieux à l'époque où il était utilisé. C'était le luxe d'un ancien temps, un temps que Lord Crowley ne devait pas connaître lorsqu'il avait acquis le château.

Aziraphale s'avança dans la pièce, caressa du doigt une tenture au mur, qui ressemblait étrangement à la tapisserie qu'il avait décrochée de sa chambre : une Annonciation. L'archange Gabriel tendait une main bienveillante à une Marie surprise mais qui avait déjà tout des traits d'une mère aimante. Dans le regard de l'annonciateur se devinait une tendresse pour le genre humain, le genre de tendresse que seuls les messagers de Dieu pouvaient avoir.

C'était un mensonge.

Aziraphale s'en voulut d'avoir eu une pensée aussi blasphématoire, et détourna ses yeux de la tenture. Il n'y avait rien dans cette pièce qui était digne d'attention, on n'y voyait rien de la scène qui avait été décrite par Miss Euston : pas de carnage, pas d'objets et de meubles brisés au sol. C'était une pièce oubliée, une pièce plongée dans l'obscurité et qui s'était endormie tout en douceur au fil du temps.

Une pièce d'un autre monde.

L'ange continua son exploration, découvrit une chambre, puis deux. Rien n'éveilla en lui un souvenir particulier, il avait juste la sensation atroce d'être un étranger qui profanait des lieux interdits. Dans la deuxième chambre, une fenêtre était brisée, le volet aussi. Il jeta un regard au dehors. Le jour était à son paroxysme, il devait être midi. Lord Crowley allait bientôt rentrer de sa sortie en ville. La lumière était blanche, presque grise, mais il ne vit rien de bien intéressant, sinon un tableau au mur.

Un tableau monstrueux.

C'était un homme aigri par le temps et par autre chose, certainement le vice et les inquiétudes. Son regard était voilé par le péché et par la peur, un sentiment de culpabilité qui devait ronger son âme sourde. L'ancien propriétaire, peut-être. Aziraphale frissonna. Un sentiment coupable l'étreignait, celui d'avoir trahi Lord Crowley pour découvrir quelque chose qui ne devait plus jamais rencontrer la lumière du jour, le regard d'un homme.

Il se détourna du tableau, regarda de nouveau vers la fenêtre. D'ici, on voyait jusque de l'autre côté de la colline, on voyait même le clocher de l'église au loin. Mais surtout, on voyait un homme à pied, un homme chapeau à la main et cheveux roux au vent qui marchait tout droit vers le château.

Le sang d'Aziraphale se figea. Il lui semblait que le regard de Lord Crowley qui embrassait sa demeure était dirigé vers lui, vers cette fenêtre brisée dans un renfoncement du toit. Il se recula vivement, et dans sa précipitation, renversa une chaise.

Cette impression d'avoir été vu par le Lord était sotte ! Mais l'ange éteignit sa chandelle et se dépêcha de quitter le dernier étage pour se rendre dans la bibliothèque et feindre d'y avoir été durant des heures. Il s'empara d'un des précieux ouvrages du démon, mais ne parvint pas à lire la moindre ligne.

La culpabilité l'étreignait comme une vieille amante.

Pourquoi ce sentiment lui était-il si familier ? Il réagit à peine lorsqu'une vingtaine de minutes plus tard le Lord rejoignit enfin le château et entra dans la pièce. Ce dernier posa son chapeau sur la petite table près du fauteuil où se trouvait Aziraphale et lui demanda d'une voix neutre :

-As tu faim, Zira ?

-Je... Oui, j'ai très faim ! La lecture m'a creusé l'appétit ! fit l'ange en tentant de sourire.

Le regard de Lord Crowley lui semblait pénétrant à travers ses lunettes noires, mais le démon ne réagit pas et se contenta de lui tendre la main pour qu'ils aillent déjeuner. L'ange s'en saisit en retenant un frisson. L'avait-il cru ? Combien de temps tiendrait-il à lui mentir ?

Ce sentiment de culpabilité lui serrait le cœur. Il se sentait monstrueux. Il n'avait rien d'un ange, songea-t-il.

...

Hello people! J'espère que ce chapitre vous a plu, le rythme de publication est accru grâce aux vacances ! ^^ Je pensais changer le titre de l'histoire, pour le remplacer par How kind... Qu'en pensez-vous ? Je pense aussi changer la couverture qui est assez moche pour quelque chose d'un tout petit peu mieux...

How kindOù les histoires vivent. Découvrez maintenant