OSHUN

Chapitre 1 : « The power of three will set us free »

PREMIERE PARTIE : LA VOYAGEUSE 

Chapitre 1 : « The power of three will set us free »

Oshun attendait que la nuit tombe. Le soir descendait insensiblement. A travers les carreaux, elle admirait chaque seconde de sa décroissance. Le ciel se teintait d'ocres et de brumes. Des formes mouvantes et spongieuses, comme une mousseline, dansaient au rythme de son pouls, lentement, si lentement. Dans les yeux d'Oshun, la braise luisait. Elle avait hâte. Et pourtant, elle savourait l'instant, refusant de se précipiter. Elle se gorgeait de lumière et d'ombres. Chaque élan d'énergie qu'elle absorbait, elle en aurait besoin. Les lueurs pour garder l'esprit clair. Les couleurs pour les intentions. L'obscurité pour l'unité. Le mouvement pour y puiser toute sa force. La vie, en somme, pour... la magie. Quand les derniers rayons du soleil ensommeillé disparurent, Oshun cligna des yeux. Ses pupilles se dilatèrent. Elle inspira l'air chaud du salon, imaginant l'air frais du dehors dans ses poumons. Elle frissonna d'excitation.

« C'est l'heure », pensa-t-elle.

Elle quitta la vue sur les arbres et commença sa mise en place, sous la lumière tamisée d'une lampe de chevet. Tranquillement, elle déroula le saree vert et or rapporté de voyage par son père et le plaça au milieu de la pièce. Elle y déposa un pouf aux motifs éléphantesques. Devant, elle tira le coffre qui lui servait de rangement et d'autel. Elle s'assit. Elle caressa du bout des doigts les reliefs de la malle rectangulaire. Elle les connaissait par cœur. Elle y lisait des secrets et des paroles muettes. Elle leva le couvercle, déterminée.

Le premier objet qu'elle attrapa fut un encensoir en bois et des bâtons de cèdre. Elle n'attendit pas plus pour en allumer un, d'un coup de briquet. Elle souffla sur la flamme. La braise arda. Le parfum végétal lui chatouilla les narines.

Ensuite, elle extirpa du coffre un flacon de verre. Les grains de gros sels qu'il contenait chantonnèrent. Puis vinrent la coupe, dans laquelle elle versa quelques gouttes d'eau claire, et la bougie. Le briquet, à nouveau, fit son office. Oshun saisit encore un lambeau de parchemin, un ruban bleu et un crayon noir. Elle referma le coffre.

Avec solennité, elle y plaça le sel, l'encens, la bougie et la coupe aux quatre points cardinaux, dans le sens des aiguilles d'une montre. Les jambes croisées devant elle, les mains sur les genoux, droite comme un « I », elle ferma les yeux. Sa respiration se fit plus intense. Ça lui faisait toujours la même impression au début. Elle avait l'impression d'étouffer en écoutant son souffle. Mais les choses reprenaient vite leur cours. Elle restait attentive, mais détendue. L'odeur du cèdre la transporta en forêt. Tout y était vert et tendre. Les oiseaux s'aimaient dans la canopée. Au loin, une rivière, peut-être. Autour, un papillon, ou deux, ou qui sait, une fée ? Les cils d'Oshun vibrèrent. Un sourire se dessina sur ses lèvres. Elle sentit son énergie joindre la terre, où elle avait ses appuis, et le ciel, où elle laissait s'échapper ses rêves. Elle était presque prête. Ne manquait qu'une petite seconde, encore un souffle, encore un chant... Ses paupières, enfin, battirent comme des ailes. Elle y était.

Dans son état second, elle ouvrit les yeux et, doucement, s'empara du crayon et du parchemin. Elle nota un seul mot en lettres capitales : SESTRA. Elle plia en quatre le parchemin et fit glisser le ruban de satin entre son index et son majeur. Elle prononça les mots :

- Ô Nature Mère, je t'implore, toi que la vie arbore, guéris ma sœur de sa douleur, apporte-lui joie et vigueur. Ô Nature Mère, je t'implore, toi que la vie arbore, guéris ma sœur de sa douleur, apporte-lui joie et vigueur. Ô Nature Mère, je t'implore, toi que la vie arbore, guéris ma sœur de sa douleur, apporte-lui joie et vigueur.

A mesure qu'elle récitait l'incantation, elle avait enroulé le ruban autour du parchemin. Quand elle eut achevé, elle ferma les yeux de nouveau et remercia les esprits. La lune pour sa protection. L'eau, pour sa purification. Le feu, pour sa chaleur. L'air, pour les voix qu'il transporte. La terre, pour ses bienfaits.