Chapitre 10 : Havfruen sangen (Le chant des sirènes)

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Chapitre 10 : Havfruen sangen

Des sensations inattendues s'emparèrent du corps d'Oshun. Alors qu'elle s'attendait à n'y voir pas à un mètre devant elle, ses yeux s'habituèrent à l'obscurité en une fraction de seconde. Au contraire, une fraîcheur singulière frappa sa peau. Singulière, mais pas inconnue. Un sifflement dérangea son oreille droite. Des images envahirent sa tête. Une bagarre dans l'eau. Le froid. Un corps qui tombe vers le fond.

Une main dans sa main la fit revenir à elle. C'était une jolie rousse chargée de l'accompagner. Elle lui sourit. Oshun lui rendit son sourire, tâchant de passer outre son mal de crâne.

Le banc se stoppa après quelques minutes seulement. Cependant, il avait déjà parcouru une distance étonnante depuis la base. Le silence se fit dans les bas-fonds.

Oshun balaya les alentours du regard, sans comprendre. Elle croisa les yeux dorés de la rouquine qui, dans le plus grand des calmes, lui fit signe d'écouter. Oshun tendit l'oreille. Rien. Le banc, toujours immobile, semblait absorbé par des sons inaudibles. Alors qu'elle commençait à s'impatienter, Oshun perçut enfin les vibrations attendues. C'était des notes.

De jolies notes entonnées par des voix en chœur.

De mélodieuses notes chantées par des instruments, guitares et percussions sans doute.

De puissantes notes battues par des pieds sur le sol, répercutant des ondes entre sables et roches.

Les sirènes se groupèrent en escadrons. Le Commandant asséna ses ordres tandis qu'Oshun observait le tout en retrait. Une dizaine de chasseuses resta en arrière pour ne pas effrayer le gibier. L'autre moitié commença à nager vers le haut.

- Vous chassez près de la surface ? s'étonna Oshun.

- C'est en haut que se trouvent les plus gros poissons, répondit la rouquine avec un sourire espiègle.

Elle reprit la main de la sorcière et la tira avec elle vers le haut.

Oshun sentit que l'eau se réchauffait peu à peu. L'obscurité elle-même sembla s'atténuer. La rouquine entraîna sa protégée derrière un amas de rochers immergés. A l'abris des regards, la sorcière put d'abord contempler sous l'eau le ballet de l'escadron se déployant en arc-de-cercle autour de la zone. Huit sirènes se mirent en état stationnaire à quelques mètres sous la surface. Le Commandant, quant à elle, grimpa davantage. Alors qu'Oshun ne distinguait plus que les éclats métalliques de la queue de la sirène, elle fut tirée vers le haut par son escorte.

Le plein air frappa son visage comme un fouet. Elle fut soudain submergée par des sensations terrestres. Des bruits un instant assourdissants. Puis de la musique et des vagues. De l'écume qui se brise en douceur sur du sable. De la lumière, celle de la lune presque aveuglante. Ses reflets sur l'eau ondoyante. Puis des ombres mouvantes et chaudes. Un feu de camp dégageant des odeurs de viande, de rhum et de charbon. Et des odeurs d'hommes. Sous son nez, les écailles rocheuses la dissimulaient autant qu'elle lui cachait le spectacle. La moitié du visage hors de l'eau, prudente, Oshun se risqua un œil de l'autre côté.

Il y avait là, sur une petite plage abritée par la crique, un groupe de jeunes gens qui dansaient et chantaient. Il y avait bien des guitares et des tambours de fortune. Ils riaient. Ils étaient sept, cinq hommes et deux femmes, et tous semblaient partager un moment de joie immense. L'alcool et la musique les rendaient insouciants. Oshun se laissa attendrir. La musique se mit à la bercer. Son cœur battit plus fort dans sa poitrine. Ses pupilles fixaient le groupe sans pouvoir s'en détacher. Elle se sentait hypnotisée. Elle avait envie de danser, de rire, de pleurer, de faire l'amour. Elle avait faim et soif et elle était repue. Derrière elle, la rouquine lui caressa doucement les cheveux. Sa main blanche sortit de l'eau pour lui indiquer quelque chose.

OSHUNOù les histoires vivent. Découvrez maintenant