Chapitre 13 : Les chats

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Chapitre 13 : Les chats

Oshun, encore transcendée par ce qu'elle venait d'exécuter, enclencha son ceinturon et plongea droit vers la mer qui l'accueillit à bras ouverts. Elle nagea dans les vagues jusqu'à la petite crique, celle de la chasse, sans se soucier de rien. Elle se sentait toute puissante, grisée par sa propre magie, invulnérable. C'était comme si elle était tout l'univers et que tout l'univers était en elle, plus infime et plus absolue que jamais. Jamais elle n'aurait pu soupçonner atteindre un tel état de plénitude. Aussi se découvrit-elle sur la plage en pleine confiance. Il n'y avait personne. Elle grimpa la petite falaise qui rejoignait la route. Là, elle tomba sur un groupe de jeunes gens qui la dévisagèrent circonspects. Elle leur demanda des vêtements avec son plus beau sourire. Ils lui remirent sur l'instant un tee-shirt, qu'elle noua à la taille car il était trop large, et un pantalon dont elle retroussa les jambes car il était trop long. Elle enfila enfin une paire d'espadrilles parfaitement ajustées. Les jeunes gens semblèrent approuver la décontraction d'Oshun qui avait joint l'attitude au costume qu'elle arborait. Après les avoir remerciés, elle remonta la route d'un pas assuré jusqu'à atteindre la ville. Elle l'atteignit au petit matin.

C'était un lieu bien différent de ce qu'elle avait connu ces derniers temps. Pas de cabane de bois, toiles de tente, pas de dôme de verre. Néanmoins, elle n'était pas étrangère à ces grands immeubles qui grattaient le ciel ni à ces grandes avenues fourmillantes de monde malgré l'heure matinale. Elle en avait connu dans son univers. D'ailleurs, si l'on exceptait les cités sirènes sous la mer et le serpent géant qui dormait pour toujours au milieu de l'océan, elle aurait pu se croire de retour chez elle.

Par souci de simplicité, elle dissimula ses quelques écailles transparentes sous une veste qu'elle « emprunta » au détour d'une boutique. La masse brune de ses cheveux suffisaient à masquer ses branchies, derniers vestiges suspects de ses aventures aquatiques.

Oshun s'accorda quelques heures de déambulation sans but. Elle avait besoin de retrouver un semblant de vie normale. Avant, elle avait rêvé d'aventures pendant des années. Elle avait espéré que quelque chose d'extraordinaire se produise et change sa vie, quelque chose qui lui aurait donné l'occasion de montrer de quoi elle était capable, de tester ses limites, de se faire voir sous un autre jour. Elle s'était fabriqué tant de films, inventé tant d'histoires. Mais elle avait toujours été rattrapée par son monde à échelle humaine.

Cependant, avec tout ce qui s'était produit ces derniers temps – elle ne tenait même plus les comptes, Corric, Gendry, les arktanthropes, les portails, l'Androgyne, le désert, Mithra, l'Alchimiste, les sirènes, le serpent, diable ! avait-elle vraiment vécu tout cela ? – elle n'aspirait plus qu'à une simple promenade dans les rues, parmi les gens « normaux ».

A coup de charme, elle se fit offrir un café dans une échoppe ambulante et s'octroya le plaisir simple de le siroter sur un banc. Elle regarda passer des enfants miaulant comme des chatons pour ne pas aller à l'école, des hommes en costumes désabusés, des femmes clinquantes ou éreintées, quelques vieillards promenant un chien du même âge et plus qu'à leur image. Le spectacle était à la fois vivifiant et déconcertant, comme un film qui nous ennuie mais dont on ne peut décrocher le regard. C'était savoureusement banal.

Lorsqu'elle en eut assez et que son café eut achevé de générer en son estomac une faim de loup, elle partit en quête d'un déjeuner. Pour ne pas abuser des charmes de la sirène qu'elle avait été et qu'elle avait conservés malgré son retour sur la terre ferme, elle proposa son aide à un commerçant en échange de fruits frais et d'un sandwich. Contemplant son aisance à passer la serpillère et sa facilité à convaincre les acheteurs, le patron lui offrit même un second sandwich.

En fin d'après-midi, Oshun avait ainsi récolté son dîner pour le soir et l'adresse de la plus grande bibliothèque de la ville. Elle quitta la ruelle où elle s'était affairée toute la journée et suivit scrupuleusement les indications qu'on lui avait remises.

OSHUNOù les histoires vivent. Découvrez maintenant