Chapitre 15 : La politique de la terre brûlée

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Chapitre 15 : La politique de la terre brûlée

Oshun regardait en silence la braise orangée descendre tranquillement le long du bâton d'encens. Des volutes de fumée blanche s'échappaient en fins rubans, inventant des formes inconnues et inspiratrices. Celle-ci aurait pu devenir un bateau, soufflé par une bouche cernée de barbe grise humant l'herbe à pipe d'une lointaine comté, celle-là aurait pu être un sourire lunatique expiré par une chenille bavarde en proie au narguilé. Cette autre encore, telle des branches d'arbres terribles accrochant les haillons de robes perdues, finit par se dissiper tout à fait. Ne resta que l'odeur d'une forêt enneigée sur le plus haut sommet du monde, et quelques tronçons de cendre brunâtre ou grisâtre, soumis à l'éclairage vacillant de la bougie. Oshun s'aveugla en fixant la flamme triangulaire qui se dressait au centre de la cire creusée. La flamme semblait vouloir s'étirer vers le haut, comme si elle criait. Elle voulait s'enfuir. Elle humait l'altitude. Elle tirait, tirait sa pointe vers le haut, prête à s'écarteler. « Plus haut. Encore plus haut. Tire, tire. Etire-toi. » l'encouragea Oshun. La flamme ondula comme un petit animal dressé sur ses deux pattes arrière.

Ce fut sa seule réaction.

Oshun détourna les yeux. Les odeurs de cuisine s'étaient passablement dissipées. Les vertus pragmatiques de l'encens... La flamme de la bougie fut coupée net par le disque de métal rotatif du chauffe-plat et s'étouffa. On se leva et on débarrassa les assiettes. On se pressa vers la cuisine pour faire la vaisselle. Quelques éclats de porcelaine se mêlèrent au jet d'eau et aux conversations banales.

Oshun regarda faire en silence depuis le salon. Ennuyée, elle quitta la table pour se couler dans le vieux canapé de cuir. Quelques minutes plus tard, on reparaissait sur le seuil.

- Tu aurais pu donner un coup de main, réprimanda la première femme qui s'épongeait les mains à l'aide d'un torchon.

- Laisse-la se reposer, adoucit la seconde en apportant un plateau surmonté de tasses sur des soucoupes et d'une cafetière.

Comme elle tremblait un peu, le service s'entrechoquait en cliquetis légers. La première femme le lui ôta des mains pour le poser sur la table basse.

- N'empêche que ce n'est pas comme ça que je t'ai élevée, maugréa-t-elle à l'attention d'Oshun suffisamment bas pour que l'autre n'entende pas.

Oshun se contenta de rouler des yeux. La première femme fit un regard sévère et servit le café. La seconde tira à elle sa tasse, y ajouta deux sucres du bout de ses doigts ridés et se mit à touiller l'ensemble en souriant.

- Je suis contente que tu sois venue, dit-elle à Oshun.

Cette dernière répondit à son sourire avec douceur :

- Moi aussi, Mamie. Mais je ne vais pas pouvoir rester plus longtemps.

- Ce n'est pas grave, tu es venue, c'est tout ce qui compte, assura la vieille femme.

Oshun se leva pour serrer sa grand-mère dans ses bras. Elle l'embrassa sur chaque joue, puis se tourna vers l'autre femme qui s'était déjà redressée, les sourcils froncés.

- Ne passe pas autant de temps sans donner de nouvelles, sermonna cette dernière.

- J'essayerai, fit Oshun sans y prêter attention. Bise, Maman.

La mère d'Oshun poussa un soupir d'exaspération.

- Pourquoi es-tu si bizarre aujourd'hui ? lâcha-t-elle irritée.

- J'ai toujours été bizarre, rétorqua Oshun en enfilant son manteau.

Elle ouvrit la porte et lança un dernier regard à sa mère.

OSHUNOù les histoires vivent. Découvrez maintenant