Chapitre 19 : Le jugement dernier

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Chapitre 19 : Le jugement dernier

Oshun gisait dans l'orage, le sang et la boue. Des plaies ouvertes rayaient son ventre, ses côtes, sa hanche. Son visage inexpressif recevait les gouttes de pluie sans bouger. L'eau s'infiltrait entre ses lèvres partiellement ouvertes. Elle était immobile, presque tranquille.

Ses paupières s'agitaient pourtant. Elles tremblaient dans des micromouvements inexplicables. La poitrine d'Oshun se souleva et s'abaissa soudain, avant de recommencer de plus en plus vite. Une fumée blanche s'échappa de sa bouche entrouverte. Des spasmes irréguliers animèrent ses doigts.

La pluie, qui frappait son corps depuis plusieurs minutes, se mit à glisser vers ses blessures pour s'y agglomérer en flaques étranges. L'eau se trouva absorbée par la chair, comme l'animal s'abreuve au lac. Peu à peu, la peau déchirée changea de couleur et se mua en lignes d'écailles transparentes. Dans son sommeil hypnotique, Oshun poussa un râle. Elle se guérissait. Elle se rappelait à elle-même, sorcière et sirène à la fois. Elle mobilisait tous ses pouvoirs, tout son être pour revenir. La terre et l'eau lui redonnaient vie. Elle ouvrit les yeux.

Oshun battit des cils pour se débarrasser des gouttes qui y restaient bloquées. Une faible lueur éclairait le ciel et la forêt. C'était le point du jour. Elle s'assit. Ses mains s'enfoncèrent dans la boue. Elle balaya l'horizon du regard. Ses yeux se posèrent sur le cadavre transpercé d'une lance. Avec la pluie, le pentacle s'était effacé autour de lui. Oshun soupira. Dans la même expiration, elle se souvint de ses blessures et avisa les dégâts. Un instant égarée, elle osa du bout des doigts frôler les écailles nouvellement apparues. Son sang transmuté l'avait guérie, une fois de plus. Elle était vivante.

La sorcière se leva et fit quelques pas. Elle retrouva près d'un gros arbre les corps des guerriers. Ils avaient tous, en mourant, recouvré leur forme humaine. Les rescapés, quant à eux, avaient disparu.

D'un pas décidé, Oshun traversa les bois pour regagner sa maison. Elle récupéra la pelle qui avait déjà servi à la tâche qu'elle allait mener, et revint sur ses pas.

La pluie était plus légère et on devinait, à travers les branchages, quelques éclaircies dans les nuages. Oshun planta la pelle dans le sol.

Il fut facile de creuser le premier trou. La boue rendait la terre molle et glissante. D'un coup de pied, la sorcière fit basculer ce qui restait du chasseur dans la fosse. Puis elle reboucha le tout.

Elle s'attaqua ensuite au reste des morts. C'était une entreprise longue et fastidieuse pour laquelle elle prit le temps nécessaire. Elle n'acheva que lorsque le soleil transperça les nuages au midi. Oshun aimait cette doucereuse lumière hivernale. Elle ferma un moment les yeux pour s'abreuver de la chaleur des rayons. Un dernier coup de pied fit rouler le dernier corps dans la tombe commune. Oshun manqua de glisser et se rattrapa à la pelle ancrée dans le sol. Elle bougonna en refermant le trou.

Sur le chemin du retour, la boue qui recouvrait sa peau se mit à sécher car la pluie s'était arrêtée. On aurait dit une statue d'argile. Oshun planta la pelle devant l'entrée et poussa la porte pour la seconde fois de la matinée. Elle referma derrière elle. Le calme régnait.

D'une main, elle retira le masque animalier qui lui ceignait toujours la tête. Ses cheveux retombèrent comme un tissu humide. Elle déposa le masque sur la table et traversa la pièce jusqu'à la baignoire. Elle s'assit à l'intérieur et ouvrit le robinet. L'eau chaude déferla sur ses pieds endoloris. Lentement, elle rinça son corps et ses cheveux. Elle savoura la douceur de l'eau sur son visage. Portant la main en coupelle à ses lèvres, elle but quelques gorgées. Cela lui fit un bien fou. Puis elle frotta ses jambes et ses bras, peigna ses cheveux sous le jet. Au fil des minutes, l'eau brune ruisselant au fond de la baignoire redevint claire. Alors Oshun ferma le robinet. Elle se mit debout, essora sa crinière et l'enveloppa dans une serviette éponge. Elle en enroula une seconde autour de sa taille et enjamba le rebord de la cuve.

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⏰ Dernière mise à jour : Feb 28, 2020 ⏰

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