Chapitre 14 : "Après moi, le déluge"

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Chapitre 14 : « Après moi, le déluge »

Elle n'avait plus aucun doute. Elle savait qu'elle était sur le point de mettre le doigt sur ce qu'elle avait tant cherché. Elle entrevoyait déjà les réponses espérées derrière le voile de l'attente. Tout l'avait conduite ici. Elle réprima un frisson d'impatience et d'excitation. La page crissa sous ses doigts.

L'auteur, à ce stade, se mit à brosser le portrait d'un jeune homme qui venait récemment de franchir le seuil de l'âge adulte et qui, à cette occasion, se souvenait des récits d'enfance avec lesquels ses parents, et leurs parents à eux, l'avaient prémuni contre certains élans en désaccord avec les fondements de leur paradigme social. L'auteur rendait compte d'un entretien qu'il avait eu avec ce garçon. Sur la page de gauche, il reportait les paroles du jeune homme dans leur langue d'origine, tandis que sur la page de droite, il en fournissait sa version traduite :

« On m'a raconté l'histoire de Luiz Feiticeiro. Il avait combattu longtemps contre les colonisateurs et pour son courage il était devenu chef de tribu. Mais il trouvait sa tribu trop faible et il avait pris goût à la guerre, car il avait des rancœurs.

Il voulait plus. On l'appelait Ganancioso tout d'abord, car il voulait posséder les mêmes choses que ceux qu'il avait combattu. Mais il ne trouva pas comment obtenir ces choses ni comment les construire. On crut qu'il allait abandonner et on oublia.

Puis il voulut posséder plus de territoire, en commençant par s'approprier des cabanes et des plaines fertiles. On l'appela Inoportuno, car jamais on n'avait vu un tel vice d'appropriation de toute l'histoire de la tribu, et cela n'était pas compris.

On commença à douter de lui et à s'en détourner. Il s'y opposa. Il rappela son courage pendant les guerres d'invasion. Mais on lui répondait que pour être chef, il fallait respecter les lois de la tribu et de la nature qui donnait la vie, comme le faisaient les bruxas. Alors il se mit à voir les bruxas comme des rivales à son ambition.

Au cours d'une fête rituelle après une récolte abondante, il prit la parole et déclara que si la puissance était au-dessus de tout pour sa tribu, alors il deviendrait le plus puissant. Il n'avait toujours pas compris les reproches de la tribu et cette fois, il s'attira la punition. Il fut exclu, lui et quelques-uns des hommes qui partageaient son ambition. Mais il ne se résigna pas.

Luiz Proscrito enleva une vieille bruxa et il la menaça pour obtenir ce qu'il voulait. Elle aurait préféré mourir et elle essaya de se tuer elle-même plutôt que d'accomplir ce qu'il lui demandait. Mais il menaça l'ensemble des bruxas de la tribu, même les toutes jeunes filles, et elle finit par obéir car elle comprit que sa cruauté n'avait plus de limite.

Chez nous, les animaux sont sacrés et totémisés. Chaque âme est porteuse de qualités et d'expériences. Parfois, nous mangeons aussi des animaux pour nous procurer leurs bienfaits, et nous les honorons pour cela. »

Ici, l'auteur avait inséré une note entre parenthèse qui renvoyait à la page suivante où il avait consigné des esquisses animalières associées aux vices et aux vertus que les Salvagens leur attribuaient.

Oshun reporta son attention sur l'entrevue.

« Luiz ne voulait pas seulement gagner de la force. Il voulait devenir la force. C'est pour cela qu'il avait besoin de la bruxa.

Une nuit de pleine lune, Luiz réveilla l'ours qui dormait dans la forêt. Ils se battirent. L'ours s'échappa mais Luiz, qui était un bon chasseur, le poursuivit avec sa lance. »

A mesure qu'elle voyait ces mots, Oshun revivait la scène avec précision : la chouette qui chuinte, les pas de pieds nus dans les branchages, les essoufflements de l'homme, les grognements de la bête, la clairière, les arbres, les coups de griffes, la lance qui file et se plante dans la fourrure, le sang noir qui vient recouvrir le sol et les mains du chasseur.

OSHUNOù les histoires vivent. Découvrez maintenant