Incompatibles

#78

PDV de Nicolas

J'avance tout doucement avec la voiture de Frédéric. Je suis stressé et excité en même temps. Je ne sais pas du tout ce que ça va donner lui et moi et au fond de moi j'appréhende d'être déçu.

Mais pourquoi d'ailleurs ? Je ne sais pas vraiment...

J'ai peur de ne pas lui plaire comme j'ai peur qu'il ne me plaise pas je pense.

Non. C'est impossible qu'il ne me plaise pas. Tristan est une victime collatérale de la supercherie familiale qu'à crée mon cher père qui n'a jamais eu le cran de s'assumer.

D'abord à cause d'un endoctrinement familial certainement puis d'un père tyran et sadique et enfin à cause du poids de la société. Je reconnais qu'à son époque les choses ne devaient pas être faciles. Du moins, beaucoup moins faciles qu'aujourd'hui mais quand même, aller jusqu'aussi loin pour donner le change... C'est complètement fou.

Quelque part, j'en veux aussi à mon grand-père.

Quel horrible personne pour menacer ses propres enfants de mort pour ça ?! Mon père a dû grandir dans une terreur la plus totale à passer son  enfance et son adolescence à culpabiliser, se prenant certainement pour un monstre.

La seule chose dont je sois sûr à l'heure actuelle, c'est que je ne pourrais pas être déçu de découvrir que mon père lui a fait un lavage de cerveau pour le transformer en homophobe haineux. Car il semble ne rien savoir sur moi et donc du pourquoi de mon départ de la maison.

***

Grâce aux vitres teintées du véhicule, je peux me permettre de le dévisager quelques secondes sans risque. Sans qu'il ne se sente jugé par moi : son frère certes mais illustre inconnu malgré tout. Je sais qu'à cet âge, être scruté de la sorte est très désagréable et déstabilisant. Même pour le plus confiant des dolescents.

Alors c'est lui mon petit frère. Il me rappelle moi au même âge et je crois qu'on a hérité de la même tignasse difficile à coiffer. Il me paraît gentil mais assez timide et nerveux aussi.

Bon allez ! Il est temps d'y aller. J'ai assez perdu de temps et reculer l'échéance même de quelques minutes supplémentaires ne m'aidera pas à lui faire face.

Je me gare sur le bas côté du trottoir et allume mes warning. Il sait que c'est moi à la façon qu'il a de regarder la voiture avancée de plus en plus près de lui. Il semble tout à coup très pensif à en voir l'agitation de ses yeux.

Je détache ma ceinture et prends une grande goulée d'air que je relâche lentement en fermant les yeux.

Je sors de l'habitacle et lui fais face un sourire crispé aux lèvres mais cependant bienveillant. Mon cœur rate un battement quand nos regards se croisent succinctement.

-Bonjour Tristan. Je suis ton frère Nicolas.

Il s'avance vers moi impressionné et content à la fois à en constater ses pupilles dilatées et son sourire gêné. Il en rougit.

-Bonjour Nicolas. Alors...c'est toi mon grand frère ? M'interroge t-il timidement.

-Oui c'est bien moi en effet. On se salue d'une poignée de mains émouvante. Je constate que les siennes sont moites. Il est aussi nerveux que moi.

-Tu n'as pas beaucoup changé depuis tes 15 ans je trouve.

-Mes 15 ans ?! Je le regarde perplexe.

-Oui, c'est la seule photo de toi que maman m'a donné. Il me brandit une petite photo jaunie abîmée et cornée de sa poche. Je le regarde intrigué avant de reporter mon regard sur ce morceau de papier vieilli. C'est bien moi. Du temps de ma jeunesse insouciante. A l'époque où je pensais appartenir à une famille aimante et bienveillante. Je reste figé à la scruter pensif. Mon passé resurgissant comme une claque en pleine face.