Enveloppé dans un long manteau noir afin de passer inaperçu dans les quartiers Moldus de Londres, Drago remonte la rue qui le conduira à la cathédrale Saint-Paul. Voilà bien longtemps qu'il n'a plus remis les pieds ici. Lorsqu'il franchit les portes de l'église entrouvertes, l'odeur familière de l'encens et de la cire l'accueille comme une vieille amie. Un souvenir présent dans l'air, presque palpable. Pour Drago qui a l'habitude de plonger dans la mémoire des autres, quelle étrange sensation que de se retrouver ainsi brusquement propulsé dans la sienne. L'époque où ses parents lui payaient des cours de musique dans ce cadre prestigieux lui semble si ancienne qu'elle pourrait aussi bien appartenir à un autre. Un passé révolu dont l'empreinte reste encore si franche, pourtant, dans son cœur comme dans sa mémoire.
La dernière fois qu'il est venu à Saint-Paul, Drago n'était pas encore un Mangemort. Il n'était qu'un adolescent de seize ans, sur le point de basculer dans la nuit. Il n'y avait encore jamais songé jusqu'à présent, mais quelle belle ironie que son entrée sans retour dans le monde des ténèbres ait ainsi été marquée par l'abandon de la musique. Quelle sacrifice plus symbolique pourrait exprimer la perte de l'humanité, la victoire de la barbarie ?
Pour Drago, il n'y a jamais rien eu de plus élevé que la musique. Face à l'absurdité de la vie, de la mort, l'immensité qui nous entoure et dont nous sommes condamnés à ne jamais effleurer qu'une infime partie, ce vide dont nous prenons parfois conscience au risque d'en devenir fous, les heures les plus sombres de nos existences aussi vaines qu'insignifiantes, il n'y a guère d'autre réponse que la musique.
La musique est la meilleure preuve de notre valeur sur cette Terre. Elle émane de nous, et pourtant nous enveloppe, nous dépasse, trouve le talent d'exprimer ce qu'aucun mot ne pourra jamais formuler. La musique nous rassure, devant cette éternité d'indifférence, cet univers glacé où nous sommes seuls à nous débattre dans des souffrances que nous avons nous-même engendrées, à nous interroger sur le sens de notre existence. La musique nous ouvre à quelque chose de plus grand que nous-mêmes. Un secret qui résonne en chacun de nous, à peine murmuré, et que la musique libère dans toute sa beauté et toute sa gloire. La musique, c'est l'âme des hommes.
Drago en est convaincu tandis qu'il s'avance dans la nef silencieuse, et, qu'à l'abri des regards, il déverrouille d'un coup de baguette la petite porte qui lui permettra de monter à la tribune de l'orgue.
L'escalier de pierre en colimaçon est resté tel que dans son souvenir. Drago l'emprunte jusqu'à l'instrument titanesque, qui semble n'attendre que lui depuis toutes ces années. Prudent, le jeune homme jette un Assurdiato pour qu'aucun des touristes en contrebas ne puisse l'entendre. Alors seulement, il met le moteur en marche et prend place derrière les cinq claviers d'ivoire.
Drago est intimidé. Osera-t-il l'admettre ? Il se sent tel un adolescent devant sa toute première fois. Depuis qu'il a touché au piano dans l'appartement d'Hermione, il a senti ce besoin en lui renaître. L'appel de la musique. L'appel de ce sentiment de plénitude, de bonheur serein, immédiat, total, tant que les notes flottent dans les airs... Drago voudrait retrouver tout cela. L'insouciance, l'accomplissement de soi, pendant quelques minutes seulement... Lâcher la bride à toutes ces émotions qu'il garde soigneusement enfermées depuis toutes ces années. Tout ce qu'il s'est forcé à oublier : la joie, l'espoir, l'amour, et tout ce qu'Hermione lui a rendu, semaine après semaine, goutte après goutte, comme une liqueur vitale et délicieuse.
Drago s'installe au banc de la console. Il a ramené quelques partitions, ignorant totalement s'il sera encore capable de les jouer. Il choisit Cortège et Litanie, de Marcel Dupré. Une pièce toute en douceur, mais qui monte en puissance, lentement mais sûrement. Tel un phénix renaissant de ses cendres.
De part et d'autre des claviers, Drago contemple les cent-huit jeux qui composent le grand orgue de Saint-Paul, tétanisé devant le potentiel colossal que renferme l'instrument. Il en tire quelques-uns, priant pour que ses leçons aient laissé quelques traces en lui, puis il commence enfin à jouer. Très doucement d'abord. Une mélopée qui résonne à peine à ses oreilles, et qui demeure silencieuse pour les visiteurs de l'église. Il entend la musique dans sa tête à mesure qu'il la joue. Il ne s'en sort pas si mal. Au fil des notes, Drago s'abandonne, cède à l'instinct qui l'a véritablement conduit jusqu'ici.

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Perfect Sense (Dramione)
FanfictionA 27 ans, Drago Malefoy souffre d'une étrange maladie qui lui dérobe ses sens, l'un après l'autre, inéluctablement. Tandis qu'il s'enfonce de plus en plus dans la nuit, Hermione Granger, Médicomage, tente de lui venir en aide.