L'Odorat

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Il existe un parc, en bordure de Londres. Rien d'extraordinaire : juste un grand espace vert où les Moldus viennent promener leurs chiens et sortir leurs enfants, à moins que ce ne soit l'inverse. Drago l'a toujours traversé sans y prêter trop d'attention. C'est ce qu'il y a de l'autre côté du parc qui l'intéresse. Le cimetière de Highgate.

Quiconque s'est déjà promené à Highgate au moins une fois dans sa vie sait qu'il s'agit d'un endroit à part. Un cimetière sorti tout droit de l'époque victorienne, des nouvelles d'Edgar Allan Poe ou des poèmes de l'ère romantique. Le soir, si l'on est chanceux, une légère brume recouvre les allées. Les tombes s'alignent là, vermoulues, si anciennes qu'elles s'adossent les unes aux autres pour ne pas tomber. Echapper encore quelques années peut-être à la tourbe qui les avale. L'automne, certaines d'entre elles disparaissent sous les amoncellements de feuilles mortes et d'humus, et au printemps suivant, on ne les revoit plus. La pluie creuse des rigoles de boue dans les fossés abandonnés. La mousse colonise tout, avale les noms, condamne les morts à la pire des morts : l'oubli. Naissance et décès ne font plus qu'un. L'érosion brouille tout : les visages, les sculptures, les mots. Au final, Highgate ressemble à un paradoxe : le temps y semble suspendu, et pourtant, plus que nulle part ailleurs dans Londres, on peut y voir les traces de son passage, à une vitesse effrayante. Le temps dévore le monde. Il nous dévorera tous. Highgate, c'est l'union poétique du passé et de l'avenir : le passé que l'on pleure, l'avenir qui nous attend. On peut le redouter, ou choisir de l'accepter. On peut contempler ce cimetière avec mélancolie, ou une envie renouvelée de vivre.

Drago choisit la mélancolie. Telle a toujours été sa nature, peut-être parce qu'il y a toujours eu davantage de mort que de vie dans son existence. Sa jeunesse lui a appris très tôt dans quel camp son destin allait se dérouler. Souvent, tard le soir, lorsqu'il n'arrive pas à s'endormir, Drago songe à toutes ces fois où il aurait dû mourir. Toutes ces fois où le danger l'a frôlé, de la main de Voldemort, des autres Mangemorts, ou de ceux qu'ils combattaient. Qu'est-ce que cela aurait changé, au final, que ce soit l'un ou l'autre qui le tue ? Le bon, le méchant... Potter, Voldemort, Dumbledore, Bellatrix, Greyback... Granger...

Qu'est-ce que cela aurait changé ? Il n'était qu'une petite ordure sans importance à l'époque. Et les choses ne sont pas très différentes maintenant. La seule chose qui a changé, c'est son regard. Et les souvenirs qu'il porte...

Drago s'arrête au beau milieu d'une allée de chênes. C'est fou, on n'entend presque plus les bruits de Londres ici. On pourrait se croire en pleine forêt. Une petite bruine se faufile entre les feuilles, sans que ce ne soit désagréable. Drago se sent poisseux, mais c'est une caresse fraîche et très douce sur son visage. L'espace de quelques secondes, il ferme les yeux. Il se concentre pour percevoir le ballet des gouttes sur sa peau. L'odeur doit être délicieuse, il peut presque l'imaginer. Une forêt sous la pluie... Mais il ne sent rien.

– Tu veux t'asseoir un moment ?

Drago rouvre les yeux. A côté de lui, Granger s'est immobilisée, surprise par son introspection silencieuse.

C'est lui qui lui a proposé de se retrouver ici. Pour sortir un peu de leur routine boutique – hôpital. Il s'est dit que cela ferait peut-être du bien à la jeune femme de prendre un peu l'air au milieu de quelque chose de beau. Et lui aussi, il en avait besoin...

Il désigne l'allée droit devant eux :

– Encore un peu plus loin, indique-t-il.

Granger obéit. Ensemble, ils remontent les générations d'anonymes, sans parler, unis par le silence cérémonieux du cimetière. Ils finissent par trouver un banc trempé de pluie où ils s'installent au milieu des fougères.

Perfect Sense (Dramione)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant