Hermione transplane devant la porte de son appartement, poursuivie par une nuée d'émotions qu'elle ne parvient pas à semer. D'habitude, Ron et elle se connaissant depuis l'enfance, elle transplane directement dans le salon, sans s'embarrasser de civilités. Mais aujourd'hui, elle a besoin de temps. Elle a besoin de cette barrière physique que représente la porte d'entrée, une barrière dressée entre son trouble et l'homme amoureux qui l'attend à l'intérieur de son petit logement. Elle résiste très fort à l'envie de se prendre la tête entre les mains. Le bonheur confus de voir ses parents guérir peu à peu sous ses yeux, son inquiétude pour Malefoy, et la honte que ravive le souvenir de leur baiser, tout ceci se mélange pour briser l'harmonie si rationnelle qui l'anime habituellement.
Ron l'attend derrière cette porte. Elle le sait à la bonne odeur de cuisine qui se répand dans le couloir, au fracas des casseroles qui s'entrechoquent, et à la lueur tamisée des chandeliers qu'il a dû allumer sur la table du salon. Il faut absolument qu'elle se reprenne. Ces pensées parasites ne signifient rien.
Hermione déverrouille la porte d'entrée et salue Ron d'un sourire :
- C'est moi !
Le jeune homme accourt aussitôt depuis la cuisine. Hermione ne s'était pas trompée à son sujet : un tablier à fleurs noué autour de la taille, de la sauce jusqu'au menton, et un beau sourire sur son visage rieur, Ron agite une poêle à frire en guise de salut :
- Tu rentres tôt. Le dîner n'est pas encore prêt.
- Ce n'est pas grave. J'avais envie de te voir.
Ces paroles sonnent fausses aux oreilles d'Hermione. Horriblement fausses. Elle s'est pratiquement enfuie de l'hôpital pour ne plus avoir à affronter ses pensées sur Malefoy. Mais voilà que celles-ci l'ont suivie jusque chez elle...
Depuis quand a-t-elle la sensation de mentir ainsi à Ron ? Depuis quand a-t-elle l'impression de ne plus pouvoir être totalement sincère avec lui ?
Pour être honnête, la réponse remonte déjà à plusieurs années. Depuis que Ron l'a abandonnée dans la recherche d'un traitement pour ses parents. Un voile de tristesse s'abat aussitôt sur Hermione, mais elle le déchire de toutes ses forces :
- Nous avons fait de grands progrès aujourd'hui, annonce-t-elle à Ron en se forçant à sourire. Nous avons implanté à mes parents leurs souvenirs d'étudiants en médecine. Si tout se passe bien, d'ici quelques jours, nous allons enfin pouvoir les réunir...
- Et voir s'ils tombent à nouveau amoureux, complète Ron en lui prenant son manteau.
Cette remarque jette un trouble dans le cœur de la jeune femme, mais Ron, rappelé à sa tâche par ses petits plats, se précipite dans la cuisine sans s'en apercevoir.
Ses mots restent seuls avec Hermione dans le salon. C'est vrai, après tout : quelle garantie ont-ils que Jonathan et Edith se plairont à nouveau lorsqu'ils se trouveront ensemble dans la même pièce ? Les seuls souvenirs qu'ils auront l'un de l'autre seront ceux qui leur auront été implantés. Leur amour ne sera pas plus tangible qu'une illusion imprimée au fer rouge dans leur esprit de force. Un mensonge, plus grossier qu'un filtre d'amour. Il ne suffit pas de faire entrer dans la mémoire d'une personne l'amour d'un autre, pour que cet amour prenne racine et devienne réalité...
Une fois de plus, Hermione songe à Malefoy, et elle se maudit pour cela. Quel que soit ce qu'elle éprouve à cet instant, c'est réel. C'est enraciné en elle de façon bien plus authentique que le lien qu'elle essaie de recréer entre ses parents. Et si Jonathan et Edith ne s'appréciaient pas ? Comme son père qui tout à coup, muni de ses nouveaux souvenirs, déclare ne plus aimer la lecture des classiques qu'il appréciait tellement étant plus jeune, ou préférer la glace à la vanille à celle au chocolat ? Jusqu'à quel point nos expériences conditionnent-elles ceux que nous devenons à l'âge adulte ? Quelle est la part des souvenirs dans notre individualité, et la part de l'âme, innée et intrinsèque ? Jusqu'à quel point est-elle en train de « fabriquer » ses parents, tel un patchwork de couvertures rapiécées, une réinvention moderne et plus monstrueuse encore du mythe de Frankenstein ? Ces questions lui donnent le vertige.
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Perfect Sense (Dramione)
Fiksi PenggemarA 27 ans, Drago Malefoy souffre d'une étrange maladie qui lui dérobe ses sens, l'un après l'autre, inéluctablement. Tandis qu'il s'enfonce de plus en plus dans la nuit, Hermione Granger, Médicomage, tente de lui venir en aide.